[A] Il faut savoir chercher au hasard

Gabriel déambulait tranquillement dans les ruelles. Elles lui faisaient toujours penser à son ancien travail de détective et aux clichés des romans noirs. Il n'aimait pas particulièrement ces lieux même s'il en était familier. La ville était immense, il ne pouvait connaître tous les gens de tous les coins glauques et miteux de cette dernière. Dans certains, il y était bien connu mais il avait décidé de mettre un pied dans cette nouvelle partie de la ville : il tenait à toujours agrandir son territoire. Le but ? Ajouter des points de passage sur sa carte mentale de jeux vidéo, discuter avec quelques PNJ insignifiants (comprenez le quidam moyen) et inscrire de nouvelles quêtes à son journal. Et même, pourquoi pas ?, ajouter de nouveaux items à son inventaire.

Pour le moment, il marchait au hasard en attendant que son œil exercé découvre quelque chose d'intéressant. Intéressant pour lui n'était pas intéressant pour le policier ou le détective classique. Il ne cherchait ni délit ni amant volage. Il cherchait le surnaturel.

Et pour cela, il se grimait lui-même un peu. C'était alors qu'il avait poursuivi un démon qu'il s'en était rendu compte : entres monstres, la solidarité éclot plus facilement. De temps à autres quand son instinct le lui soufflait, comme aujourd'hui, il collait sur le haut de son front deux petites cornes de démons de la même couleur que sa chair. Il se promenait avec une capuche de sweat-shirt rabattue sur sa tête mais la légère déformation était significative pour un œil exercé. Il se promenait en gardant une pose naturelle, les mains dans la poche de son sweat en laissant traîner ses yeux partout. Il arrivait justement sur une place plus peuplée et scruta les gens qui s'y trouvaient.

Markus avait choisit de s’asseoir sur un banc de pierre dans un coin de la place légèrement ombragé par les vêtements étendus aux étages au dessus de lui. Son sac à dos contenant un scalpel, quelques seringues et plusieurs doses d'anesthésiants ainsi que du bandage cicatrisant en spray se trouvait au sol à ses côtés. De cet emplacement, il pouvait avoir une vue d'ensemble sur la place ainsi qu'un point de départ pour la chasse, par la façade d'un immeuble se trouvant dans la ruelle à côté de lui, facilement escaladable et sans vis à vis. Il se souvint que cette place, de part sa population précaire et la présence de nombreux sans domiciles fixe, offrait des proies faciles et relativement anonymes.

Il remarqua rapidement, un individu, la quarantaine, à la peau blafarde,  affalé sur le sol contre un mur sur le côté nord de la place. Celui ci mangeait négligemment une poire et de temps à autre récurait une dent creuse avec sa langue. La teinture noire des cheveux de l'individu était délavée et laissait apercevoir des cheveux extrêmement blancs à la racine. Les yeux de celui ci, rougeâtres, ne cessaient de  clignoter face à la lumière du soleil. Il s'agissait vraisemblablement d'un banshee. On lui avait certes passé commande pour une dentition de banshee, mais celle de ce SDF semblait en piètre état. Il pourrait peut être se rabattre simplement sur les cheveux, on trouvait toujours acheteur et ça rapportait un petit quelque chose, les organes eux devaient être dans un sale état.

Il continuait de parcourir du regard la place, lorsqu'il aperçu un homme, qui marchait nonchalamment à travers la place, ou plutôt un démon, s'il en croyait les deux protubérance sous sa capuche. Son visage ne lui disait rien et il connaissait assez bien cette place, celle ci étant un des ses coin de pêche depuis longtemps. Il semblait en bonne santé physique, propre, sportif, pas encore ravagé par les galères qu'engendrait une vie dans les bas quartiers. Il s'agissait peut être d'un démon qui avait fuit les beaux quartiers soit pour se faire oublier suite à un méfait ou à cause de l'UDPH. Son expression, sereine, ne confirmait pas du tout ces hypothèses, la chasse serait difficile... Il décida d'observer un peu le démon, quitte à le suivre par les toits si besoin, il se rabattrait sur le SDF si ça ne donnait rien.

Intéressant. Il regardait autour de lui et trouvait l'ensemble des plus intéressants. Il venait d'arriver dans un coin vraiment miséreux. Même pauvres, les monstres réussissaient en général à garder leur couverture. Ici, ils étaient tellement camés et déçus par la vie qu'ils ne prenaient plus tellement cette peine.

Celui-là, par exemple, ne pouvait pas avoir les yeux aussi rouges pour une simple raison médicamenteuse, même illicite. Cet autre, près du banc à moitié défoncé, qui venait d'être aspergé de bière frelaté par un ivrogne n'arrivant pas à faire trois pas sans trébucher, ne prenait pas la peine de sécher sa peau soudainement écailleuse. Et cet autre enfin, au vêtements déchirés qui laissaient entrapercevoir deux énormes cicatrices, un ange. Il y en avait peut-être d'autres qu'il n'avait pas remarqué.

Il y avait une espèce d'épicerie sur un bord de la place. Le seul magasin a encore être ouvert. Il y entra et tout en déambulant dans les rayons, sortit un téléphone portable et commença à taper un message codé à « Nadine ». Il fallait noter sa position GPS, retrouver l'endroit, mettre en place un réseau d'informateur ou ratisser les monstres pour études.

Une fois le message envoyé, il se mit derrière le rayonnage qui donnait sur la vitrine. En comparant les différents types de raviolis en boite, il scrutait la place. Il eut soudain une impression étrange comme si son cerveau avait remarqué quelque chose et qu'il n'avait pas eu le temps de s'en rendre compte. Il n'aimait pas ça mais s'il restait trop longtemps là, ça deviendrait suspect. Il attrapa une conserve de jambon reconstitué et se dirigea vers la caisse. Il demanda également un paquet de cigarettes. Il ne fumait pas mais c'était toujours une bonne monnaie d'échange.

Il s'arrêta devant un des monstres suffisamment en état de parler et s'accroupit à ses côtés et tout en sortant une clope pour la mettre à ses lèvres - sans l'allumer - il demanda :

«dis-moi, je cherche quelqu'un qui vendrait des choses… peu communes. Tu connaitrais ?»

La question était suffisamment vague pour ne pas se restreindre mais suffisamment restreinte pour ne pas avoir une réponse trop vague. Après avoir donné deux bâtons de tabac et écouté quelques borborygmes, il se leva et se dirigea dans la direction vaguement indiquée par l'homme. Si renseignement il y avait, il était bien froid tout de même. Il n'y croyait pas trop. Il quitta la place pour explorer les
environs, attentif à tout personnage étrange.

Il faillit avaler un de ses piercing quant il vit Glaviot montrer la direction de son fief en échange d'une clope. Sa première pensée fut de descendre et de le regarder droit dans les yeux, histoire que sa statue trône au milieu de cette cour des miracles en guise d'avertissement. Il se ravisa quant il se rappela que les dernières fois où il avait utilisé ce procédé, la pétrification ne durant qu'une journée, l’avertissement ici était vite oublié. Il se dit qu'il faudrait songer à un petit système de rémunération en terme de nicotine et d'alcool pour acheter le silence de ces ivrognes.

L'allure de ce démon, son look, ne collait pas avec le coin. Il se demandait ce qu'il pouvait lui vouloir, il s'agissait peut être d'un commanditaire, mais ces derniers en général, le contactaient d'abord sur son smartphone et lui se déplaçait. Il pouvait s'agir aussi d'un membre de la famille d'une de ses victimes qui revenait se venger, même s'il prenait soin de choisir des individus qu'il pensait isolés, rien n'empêchait des petites erreurs.

Il préféra ne pas perdre de temps à interroger l'ivrogne et couru sur les toits jusqu'à la sortie de la place. Il attendit que l'étranger le dépasse puis descendit en s'aidant des rebords de fenêtre.
Il accéléra le pas jusqu'à le rattraper puis le tira par sa capuche en lui disant à voix basse
"Qu'est ce que tu veux!"

[désolée pour le retard. Et dire que maintenant, j'ai oublié le super jeu de mot qui m'avait fait lancer ce sujet. Je le retrouverai peut-être.]

Les environs étaient vides, vides de monstres. La place pourtant en regorgeait. Il y avait donc une concentration plus forte de non-humains dans les parages. Les autres étaient juste plus normaux : ils devaient faire plus attention à se cacher. Ceux qu'il pouvait voir si facilement étaient juste la lie de la société, même de la société des monstres.

Néanmoins, il avait fait ce qu'il y avait à faire : il avait envoyé les coordonnées de l'endroit à l'UDPH. Il voulait continuer à explorer la carte et trouver des PNJ intéressants. Voire même des personnages joueurs ! Ceux-là étaient les plus agréables à fréquenter, même s'ils faisaient partie des cibles. Et peut-être que suivre la direction indiquée par le clochard pour le prix modique de deux cigarettes lui permettrait d'en trouver un nouveau.

Pour l'instant, il marchait d'un pas tranquille à l'écoute de quelque chose d'étrange. Mais il n'entendait ou ne voyait que l'esprit d'un quartier tranquille. Des bruits de télévision, de cris d'enfants et de disputes adultes, de casserole qui bout et même, par intermittence, de copulation jouissive. Un certain instinct voyeuriste et goguenard lui fit tendre l'oreille. Deux voix féminines et des grognements masculins. Bin, mon cochon ! C'était plus rigolo à traverser que la place moribonde.

Soudain, il sentit sa capuche partir en arrière. Il eut un réflexe : celui de lever la main pour remettre le vêtement en place. Il se morigéna en entendant une voix. Il aurait dû avoir un autre réflexe plus utile pour sa survie : celui de s'écarter de trois pas et de se retourner vivement pour voir et analyser la situation, la main proche de son revolver. Ce qu'il fit ensuite.

Il put alors contempler son vis-à-vis. Dreadlock blanches, peau noire, de nombreux piercings. Un individu trop jeune et trop vigoureux pour avoir naturellement des cheveux de cette couleur là. Probablement un monstre, même s'il essayait toujours de laisser le bénéfice du doute, il pouvait y avoir des tas de raisons qui pouvaient expliquer ce genre d'apparence.

Je veux que d'abord tu ne touches plus jamais à ma capuche, c'est compris ?

En disant ça, il avait tendu un doigt impérieux vers le type.

Ensuite, je cherche quelqu'un qui peut me fournir des choses peu courantes. On m'a indiqué ce coin. Ça serait toi ou quelqu'un pour qui tu travailles ?

Il le regardait avec un petit air de dégoût comme si Gabriel croyait qu'il n'avait affaire qu'à un sous-fifre. Laisser sous-entendre ce genre de chose permettait souvent d'agacer les gens et de leur faire dire des choses qu'ils ne voulaient pas dire. Ou de se retrouver avec un couteau entre les côtes, au choix. Mais il avait enlevé le doigt et attendait maintenant la réponse avec attention en cas de coup de ce genre.

Markus crispa ses mâchoires, il se retenait de lui foutre son poing dans sa gueule de démon qui n'a pas encore mué. Il sentait ses serpents démanger son cuir chevelu et  ses dreadlocks se dresser légèrement. Il le prenait de haut, sur son territoire! Il ne savait visiblement pas à qui il avait faire!
Il sorti une cigarette de son paquet et l'alluma. Il tira une bouffée et exhala la fumée en direction du visage du démon. Cela le calma.
Il se dit que lui non plus ne savait toujours pas à qui il avait à faire. Il avait entre aperçu ce geste rapide de sa main vers la hanche, il était armé et entraîné.
Il se demandait s'il ne serait pas intéressant de jouer son jeu,il savait que passer pour un con auprès d'un autre apportait souvent un avantage stratégique.
Il tira une autre bouffée de sa cigarette.

" Je travaille pour celui que tu cherches. Qu'est ce qu'il te faut ?"

La réaction de l'autre avait été peu naturelle. Gabriel n'avait rien vu mais son subconscient avait remarqué des choses. Son subconscient frappait violemment à la porte de sa conscience via l'instinct. Et son instinct carillonnait au même rythme : danger ! Danger !

Gabriel se recula d'un pas, la main s'approchant subrepticement de son arme. Sa respiration s'était accéléré, les sourcils froncés, la bouche s'était durcie, ses traits fermés. Le gars en face de lui n'était peut-être qu'un sbire mais c'était alors un sbire de haut niveau, rien à voir avec la majorité des monstres qu'il avait rencontré. C'était quelqu'un de dangereux et totalement sans scrupules.

L'agent de l'UDPH était pourtant décidé à ne pas lâcher un pouce de terrain. Il écarta la fumée de cigarette qu'il lui avait craché à la figure du revers de la main et écouta ce que l'autre avait à lui dire. Ce qu'il lui fallait ? Gabriel ne cilla pas mais intérieurement se sentit bien bête. Il inventa sur le fil du rasoir.

Mon patron a des lubies. Il voudrait entre autres, des cornes de minotaure.

Suivi d'un petit sourire. Comment allait-il répondre à ce petit piège ?