[PV Robin] Les cicatrices des maillons

Plusieurs mois avaient rejoins les rangs du passé depuis que Krimh avait rencontré Robin. Or, chaque jour qui passait lui semblait plus frais que le précédent depuis qu'elle ne l'attendait plus et avait perdu l'espoir de le revoir. Bien que cette sensation n'était pas qu'une simple illusion créée par son esprit pour traduire ses sentiments, l'été n'ayant cessé de décliner pour laisser place à un morne automne, la météo semblait coller à son état d'âme comme si le monde n'était qu'une peinture romantique de son âme.
Certes, quelques histoires avaient altéré sa routine quotidienne, mais elles étaient trop rares pour libérer la vampire des chaînes immatérielles avec lesquelles elle avait tissé leur lien. Alors, chaque jour qui passait, l'existence redessinait sur le tableau de sa vie tout les maillons de cette chaîne que la rouquine s'epuisait à effacer.

Mais ce jour là, alors qu'elle revenait de sa balade nocturne, Krimh senti son cœur se serrer violemment en approchant du pont qui la reconduirait au bidonville. Elle-même ne saurait pas dire comment, mais elle savait qu'il était là. Il était enfin revenu.
Une larme coula alors le long de sa joue, se fondant bientôt dans la bruine qui tombait délicatement sur Tenebris cette nuit là. Elle voulu l'interpeller, mais sa gorge était nouée par le complexe mélange d'émotions qui l'envahissait soudainement. La joie intense qu'elle voulait ressentir était obscurcie par une profonde frustration mêlée de colère. La jeune vampire resta alors immobile le temps de réaliser, serant les poings sous les légères goûtes d'eau qui tombaient insensiblement.
Elle avait l'impression que le monde rapetissait à une vitesse phénoménale pour ne plus abriter qu'eux deux, sous la lumière vacillante d'un vieux lampadaire.

[HJ : J’ai dit que j’étais inspirée? xD]

Trois mois; près de trois mois séparaient maintenant Robin de ce soir de fête nationale. Trois longs et pénibles mois où il n’avait fait que se perdre de plus en plus : alcool, drogue et solitude malsaine menant à mutilation les soirs de dépression… Ses bras montraient quelques lésions, mais c’était surtout son dos qui subissait le plus les assauts de ses lames, pour que son sac à dos devienne un outil de torture.

Lucy, sa douce moitié virtuelle, lui avait de moins en moins écrit jusqu’à disparaître totalement sous prétexte de devoir « se déconnecter », ce dont doutait grandement le jeune indigné. Si ce n’avait été que cela… Mais même ses frères et sœurs d’arme les plus proches s’éloignaient de lui. Hugo était trop frustré d’être arrivé encore, depuis deux mois, dans une impasse sur leurs recherches clandestines; Pierre Lebuissière en voulait à Robin de – peut-être – l’avoir fait raté le contrat d’infrastructure; Alice et Élodie semblaient parties sur leurs propres affaires et se joignaient rarement aux autres membres… Et il y avait bien d’autres personnes, mais si peu importante dans le quotidien du thanatologue que… bah. Ses voisins, Raphy et Immanuel, en revanche, l’avait juste aidé à plonger directement dans ses idées noires, pas forcément consciemment, mais quand même. Il prenait de moins en moins ses psychotropes.

Et il y avait Krimhilde. Cette jeune vampire à qui le schizophrène avait promis de revenir… et qu’il n’était toujours pas encore retourné voir. Mais ce n’était pas faute d’y avoir pensé. Seulement, les derniers événements de sa vie l’avaient tant accaparé et ses pensées étaient tellement obscurcies qu’il n’avait pas su voir les jours se succéder dans une course folle. Et, quand il y avait pensé, il avait toujours remis à plus tard cette fatidique deuxième rencontre, comme si elle contenait en elle-même tout le poids de son désarroi… Krimhilde était la personne la plus mal en point que Robin ait été donné de rencontrer dans sa vie; dont l’existence était la plus misérable… Or, comment lui, à qui sa santé mentale ne donnait aucun répit, aurait-il pu être d’un quelconque support?

Mais ce soir-là, ses pensées avaient été autres et il avait fini par se dire qu’entre personnes en proie avec leur existence décousue, peut-être sauraient-ils se serrer les coudes? Peut-être finalement une vampire saurait lui apporter ce que nul humain avait réussi jusqu’à présent? C’est ainsi qu’il sortit de son appartement, le plus silencieusement possible, laissant son téléphone cellulaire entre son matelas et son sommier – nulle envie d’être retraçable à cause du GPS, mais nulle envie de laisser ce précieux appareil à la vue de quiconque pourrait forcer sa porte [quoi, Robin, paranoïaque? Pas du tout…]. Il avait enfilé sa veste kangourou « Happy families are all alike » ainsi qu’un foulard noir, car le début octobre était particulièrement froid, puis s’était mis en route vers le Bidonville, passant par le même chemin que lors de cette étrange nuit de juillet. Le vent faisait claquer froidement les branches des arbres et même les animaux nocturnes semblaient absents. Peut-être avait-il croisé un chat, tout au plus.

Arrivé au pont séparant le terrain vague du Bidonville, il s’arrêta, envahi par la crainte… Et si la vampire ne voulait finalement plus le voir? La notion du temps était-elle distordue quand une personne vit éternellement? Dans quel sens? Un mois devient-il une journée ou une journée… un mois? Soudain, le hacker prit conscience du poids que son absence avait pu causer à cette frêle personne. Violemment, il se cogna la tête contre la paroi rocheuse, hurlant toute sa haine propre. Coincé dans l’impasse de son indécision, il resta planté là et finit par s’asseoir en plein centre du pont, adossé au mur… S’il rebroussait encore chemin, il ne pourrait sans doute pas se le pardonner, et encore moins revenir à nouveau : il ne pouvait se permettre de faire encore subir cela à Krimhilde… En même temps, cette dernière pouvait tout aussi bien tomber dans une colère noire et le prendre pour repas… Elle avait dit ne pas se nourrir de sang humain, mais une fois n’était peut-être pas coutume. Comment appréhender la réaction d’une vampire en furie?

Passèrent ainsi des heures, encore. Le poids de la nuit s’abattait sur lui et, vers une heure, il finit par s’endormir là, à l’abri du vent et des constellations qui ne lui offriraient plus jamais un repos apaisant… mais elles ne furent même pas nécessaires, car il dormit de toute évidence très mal, se réveillant à toutes les demi-heures. Les sons extérieurs et intérieurs se réverbéraient sur les parois, amplifiés; et ses inquiétudes ne pouvaient le laisser tranquille. Finalement, encore éreinté par cette nuit au sommeil mouvementé, il se leva, péniblement, pour s’approcher du Bidonville. Un lampadaire envoyait une chaude lumière sur quelques mètres et Robin prit quelque temps pour l’observer, pour laisser ses yeux s’habituer à cette clarté.

Alors qu’il voulait reprendre sa route, des sons de pas se firent entendre dans son dos. Vivement, il se retourna, prêt à réagir en cas de danger, mais il se figea rapidement, reconnaissant celle qui venait. Il déglutit péniblement et murmura un faible « Krimhilde… » Cette dernière sembla l’avoir entendu et avoir reconnu cette voix hésitante, car elle se dirigea vers lui et les larmes ruisselèrent rapidement sur ses joues. Son visage exprimait toutes les émotions du monde, ce qui le rendait particulièrement indéchiffrable. Robin, ne sachant que faire, resta coi. Le poids de sa lâcheté fondait sur lui. Tous ces mois sans montrer le moindre signe de vie… et maintenant, la jeune vampire le reconnaissait par un simple murmure… peut-être son odeur aussi… Comme il s’en voulait!

Plein de remords, il respirait difficilement, d’un souffle saccadé. Ne pouvant plus endurer ce visage émacié et larmoyant, il ferma les yeux, fermement, comme pour s’empêcher lui-même de pleurer… mais en vain. Lui qui ne pleurait presque jamais ne pouvait plus retenir ses larmes. Que n’aurait-il pas donné en cet instant pour que Krimhilde voie dans quel état il revenait? Ses cernes étaient aussi creux que les siens, son teint presque aussi pâle. Ses mains se tordaient entre elles; il s’arrachait la peau autour des ongles. Ses mots restaient coincés dans sa poitrine, alors qu’ils étaient si nombreux. Il avait tout à expliquer, à justifier… mais il n’en avait pas la force, pas le courage. Tout ce qu’il réussit à prononcer fut les premières consonnes des mots : « Kr…… Jjjsss….dd. » *Krimhilde,je suis désolé! * Ses mots restaient coincés dans sa gorge, comme si elle était trop serrée pour laisser passer l’air nécessaire pour les voyelles.

Même si la petite aveugle ne pouvait pas voir l'état de Robin, beaucoup d'autres indices lui indiquaient à quel point il était mal en point. Elle pouvait percevoir les battements saccadés de son cœur, sa respiration haletante et les quelques mots qu'il essaya en vain de prononcer la gorge nouée lui firent presque instantanément comprendre sa détresse.
Or, tout cela, c'est comme si Krimh le ressentait avec lui. Ses sens étaient tellement affûtés qu'elle était presque capable de transposer les sensations du jeune homme en elle, créant immédiatement une réelle empathie, au sens premier du terme.
En ayant compris l'ampleur de sa peine, la colère qui pouvait animer la noctambule se dissipa rapidement. C'était, d'aussi loin qu'elle se souvenait, la première fois qu'elle ressentait cela pour quelqu'un. Ainsi, elle se rapprocha doucement de l'humain, sans un mot, et vint prendre ses main dans les siennes, froides et profondément entaillées. C'était comme si la petite rouquine essayait de lui prendre une partie de sa douleur pour l'en soulager ne serait-ce qu'un peu.

Quelques instants après avoir attrapé les mains de Robin, Krimh se rapprocha encore un peu plus de lui, pour réduire la distance qui les séparait à seulement quelques centimètres. Dans les même temps, elle murmura quelques mots à peine audibles tout en levant la tête, l'invitant à plonger son regard dans le sien.

''Ça va aller.. ''

Même si elle n'avait aucune idée de la cause de son malheur, elle ne connaissait que trop bien à quel point cela pouvait être douloureux, et à quel point la solitude amplifiait cette douleur. Or, toute sa vie elle avait été seule, et toute sa vie elle s'est forgée une armure contre cette tristesse, pour ne plus ressentir que de la lassitude; mais ici, l'état du violoniste lui rappelait tellement de souvenirs, tous plus mauvais les uns que les autres. Elle ne voulait pas que cela lui arrive à lui qui avait su la charmer dès le premier instant.

Les larmes ruisselaient sur ses joues. Ses muscles faciaux lui faisaient mal d’être si tendus. Ses mains crispées tentaient vainement d’essuyer son visage. La manche de sa veste servait de mouchoir. Comme un vieux réflexe, il eut envie de boire pour noyer sa peine, mais ce n’était pas possible. Pris au piège par sa dépendance, il ne savait plus comment réagir devant tant de douleur. Il ne pouvait pas s’engourdir, n’avait nul point de fuite.

Les mains glacées de la vampire arrivèrent comme les bras d’une mère qu’il n’avait jamais connue. Depuis tout petit, ses pleurs, il avait dû les vivre seul ou les refouler. « Sèche tes larmes : les garçons ne pleurent pas! » Il lui était, même, arrivé de recevoir une baffe de son père s’il était découvert en train de chialer pour une égratignure. Ainsi, au fur et à mesure des remontrances paternelles, il s’était construit une barricade contre la douleur… du moins, les démonstrations émotives. Même seul, il ne se laissait que rarement autant aller. Pour une raison obscure, cette nuit était différente… Il n’aurait su dire ce qui avait ouvert les digues de ses yeux, mais il montrait la partie la plus vulnérable de sa personne à la personne la plus vulnérable qu’il ait rencontrée. Étrange paradoxe, mais il n’aurait pu en être autrement.

Les mains de Krimh, donc, furent un baume sur le cœur du jeune schizophrène, la preuve qu’elle n’était pas entrée dans une colère noire. Le contact avec sa peau glacée le ramena trois mois en arrière en un instant et il se revit, empoignant lui-même ces mains frêles pour conduire la rouquine chez elle. Il n’avait pas parlé de ce moment magique, à quiconque. La rencontre avec Krimhilde restait son secret, surpassant même ses recherches sur les indésirables. Quelque part au fond de lui, il s’était dit qu’il en était mieux ainsi. Dévoiler le vampirisme de son… amie (?) reviendrait à la déclarer bête de foire. Tous ses frères et sœurs d’arme auraient fini par envahir son intimité, jusqu’à lui faire regretter son isolement… Et c’était hors de question.

« Ça va aller… »

Sa voix était douce, suppliante. Répondant à son appel, Robin plongea ses yeux dans son regard vide. Malgré qu’il savait bien qu’elle ne le voyait pas, il sentait aussi qu’elle transperçait son âme. Tous ses autres sens l’informaient de son état d’âme, c’était inévitable. Sa respiration se calma, à peine, mais assez pour qu’il retrouve l’air nécessaire à la parole. Néanmoins, avant de dire quoi que ce soit, il s’approcha à son tour de Krimhilde, sa main droite lâchant son emprise pour venir se placer dans son dos, lentement, pour ne pas la brusquer. Alors, il restreint l’espace entre eux à néant, serrant tendrement ce corps froid contre lui. Sa main droite s’attarda sur sa colonne vertébrale saillante avant d’aller caresser son épaule gauche. Il y avait si longtemps qu’il avait serré quelqu’un dans ses bras qu’il ne savait plus trop comment s’y prendre. Ce contact réconfortant lui fit bizarre, mais surtout, il lui fit du bien.

Les larmes du jeune homme coulaient toujours, mais en un fin ruisseau plutôt qu’en un torrent incessant. Le cœur serré, il s’accorda encore quelques secondes de silence avant de lâcher : « Mer…ci… Merci, Krimh. »,  dans un soupir. Il avait toujours aussi mal, mais au moins, une part immense de ses inquiétudes et ses angoisses s’était calmée.

Les larmes de Robin tombaient sur les épaules de la jeune vampire après avoir coulé sur ses joues alors que leur deux corps se collaient. C'était quelque chose de complètement nouveau pour elle que de se retrouver aussi proche d'un garçon, et même de n'importe qui. Un nouveau panache d'émotions beaucoup plus agréable cette fois-ci caressa son esprit. Elle était effrayée par la nouveauté de la situation, mais elle sentait qu'elle ne devait plus penser, qu'elle devait se laisser guider par ces nouveaux sentiments qui commençaient dès lors à la réchauffer elle aussi. La douleur que chacun d'eux ressentait était l'essence même de leur lien, et la rouquine commençait à l'intégrer sans s'en rendre compte. Ils semblaient partager leur souffrance.

Un frisson parcouru l'échine de Krimhilde alors que Robin passa sa main dans son dos. Or, ce n'était pas un frisson comme elle avait l'habitude de les ressentir, froid et amers, celui-ci était agréable, comme si la vie elle même avait glissé ses doigts le long de son dos glacé. Alors, elle aussi leva doucement sa main pour venir essuyer quelques larmes des joues du violoniste d'un revers de celle-ci tandis qu'elle plaça l'autre au bas de son dos pour le serrer à son tour. Sa main glissa ensuite le long de son visage pour caresser sa joue avec son pouce.
La noctambule fut infiniment touchée par les quelques mots que Robin prononça, pas tant par les mots eux mêmes mais par l'effort émis pour les prononcer. Ainsi, Krimh passa sa main qui glaçait sans doute son visage dans ses cheveux pour délicatement baisser sa tête jusqu'à coller leurs fronts. Les yeux clairs de la vampire semblaient plonger dans ceux du jeune homme alors qu'elle répondit dans un murmure.

''Tu m'as manqué espèce de bêta. ''

Il n'y avait absolument rien de méchant dans ses paroles, bien au contraire : elles étaient emplies de tendresse. Le peu de colère qui restait s'était évanoui entre temps et peu de temps après, ses mains se rejoignirent derrière la nuque du violoniste et ses doigts se croiserent pour former une délicate étreinte autour se son cou.
Elle lui adressa alors son premier sourire sincère depuis longtemps. Il était rempli de tendresse, et avec lui, ses yeux gagnèrent une sorte d'éclat indescriptible, peut être un reflet de son cœur qui se réchauffait.

Le calme… un calme comme il en avait rarement connu depuis longtemps… Le toucher glacial des bras de Krimhilde semblait agir sur lui comme … comme un bon joint. *Merde et re-merde.* Sentant que sa présence pourrait avoir sur lui le même effet addictif, il voulut se détourner, mais la vampire en avait décidé autrement et collait leurs fronts ensemble. Attendri par ce geste si simple, mais plein de vérité, l’insomniaque sourit, un peu sourire en coin, à peine perceptible. Mais ses muscles flasques sentirent l’effort fourni pour soulever, même si moindrement, ses joues.

Puis la voix de la noctambule s’éleva et le sourire de Robin s’affaissa… Bien que sa voix ait été imprégnée de tendresse, ses mots n’en perdaient pas leur sens… Oui. Forcément. Évidemment. Bêta qu’il était! Elle l’avait vraiment attendu… Et elle avait bien connu de la tristesse, voire même de la colère, mais surtout de l’incompréhension et du déroutement… comme lui-même en sentait depuis la lente disparition de Lucy de sa vie… Bien sûr, elle n’était présente que par voix cybernétique, mais leurs échanges avaient un réel impact IRL… Son cœur se serra. Krimhilde n’avait jamais mérité d’être ainsi délaissée.

« Dé…solé. »

C’était encore tout ce qu’il avait trouvé à dire. Il était profondément désolé pour ce qu’il avait pu faire subir à cette fille qui ne demandait qu’une source de réconfort. Il était désolé d’avoir fui face à cette détresse le jour où ils s’étaient rencontrés; désolé d’avoir eu la trouille de créer un lien affectif avec elle; désolé d’avoir si longtemps pensé à elle sans poser le moindre geste; désolé… désolé d’avoir dû sentir la même détresse qu’elle pour finalement la comprendre et se pointer à nouveau.

Les quelques mots qu'elle prononça n'eurent pas l'effet désiré. Au lieu d'amorcer un début de conversation avec le violoniste, la phrase sembla l'atrister plus qu'autre chose, or ce n'était pas ce qu'elle voulait, bien au contraire. Krimh pouvait sentir le poids de sa frustration.

''Ce n'est pas grave, maintenant tu es là. ''

Elle avait gardé la même voix qu'avant, mais avec un très léger pincement dans la gorge, signe qu'elle n'avait pas voulu créer de malaise. La jeune vampire laissa passer quelques instants de silence. Bien vite, l'atmosphère pesante des alentours rattrapa le duo de musicien, mais elle ne voulait pas que l'odeur putride des lieux et son vacarme ambiant ne vienne ternir ces retrouvailles. Ainsi, après être redescendue sur Terre en seulement quelques secondes, elle voulu remonter au delà de tout, frôler la lune et son éclat si paisible. Elle voulu s'envoler comme les chauve-souris qui s'étaient échappées de ce plan juste avant leur première rencontre pour leur laisser une absolue intimité. En pensant à tout cela, Krimh ferma les yeux et fronça les sourcils pour laisser son visage exprimer pleinement cette sensation.
Alors, brusquement, elle relâcha l'étreinte de ses bras de la nuque de Robin et saisi une de ses mains en lui murmurant quelques mots. Cette fois-ci, son ton était empreint d'une sorte de rancœur. Elle n'était pas tournée vers lui, bien entendu, mais vers l'autre côté du pont.

''Je ne veux pas rester là plus longtemps.. ''

Tout aussi brusquement, la petite rouquine se mit à courir dans la direction opposée au bidonville, entraînant avec elle le jeune homme. Elle n'avait pas attendu sa réponse, ni même fait attention à si il lui avait adressé la parole, tout ce qu'elle avait dans la tête, s'était un idéal qu'il avait réveillé du plus profond de son être. Or, cet idéal n'était pas compatible avec cet endroit. Elle rêvait de calme et de silence, seulement de cela. Alors elle courru, encore et encore, tirant Robin et serrant sa main pour ne pas le perdre dans les rues désertes de Tenebris, tentant dans un élan d'espoir intense, peut être vain, de trouver son Éden.

Pas grave… pas grave. Oui… peut-être. Si elle le disait. Robin soupira. Le pincement dans la voix de la vampire ne fut pas interprété de la bonne façon par le jeune homme, qui le prit plutôt comme une preuve qu’elle lui en voulait encore, en quelque sorte. Les remords le grugeaient et il ne voulait plus qu’une chose : disparaître. La fuite, encore et toujours, s’avérait être la seule option qu’il voyait. L’échappatoire parfait. Mais. Il ne pouvait plus fuir : il était revenu à elle. Il était maintenant hors de question pour lui de rebrousser chemin.

Il ne répondit rien et laissa le silence s’immiscer entre eux… enfin. Si on pouvait qualifier l’ambiance sonore de silence. En effet, les bruits de la nuit étaient nombreux au bidonville, mais le jeune thanatologue n’y prêtait pas vraiment attention. Son esprit était ailleurs, sa tête était comme dans du coton, un coton plein de formol qui lui gelait le cerveau et l’empêchait d’avoir pleinement conscience de ce qui l’entourait. Anesthésié.

Puis, les bras de Krimhilde lâchèrent le cou du jeune homme, lequel la regarda faire sans mot dire. Il la regarda lui prendre la main, la regarda ouvrir la bouche et prendre la parole à nouveau, mais il ne comprit pas tout de suite ce qu’elle entendait par là… jusqu’à ce qu’il soit tiré avec vigueur. Dans un cri de surprise, il se mit à courir avec celle qui, apparemment, ne trouvait jamais meilleure solution que de le tirer par le bras quand elle devait aller quelque part. Sans savoir pourquoi elle s’éloignait de chez elle, il se dit néanmoins que le jour ne tarderait sûrement pas à venir. Elle devrait se chercher un endroit où se planquer… mais où?

Robin perdait son souffle. Ça faisait déjà quelques minutes qu’ils courraient ainsi, sans répit et son corps ne pouvait plus en supporter davantage. Il avait bien failli tomber plusieurs fois, mais s’était rattrapé toujours juste à temps. Néanmoins, cette fois-ci, il ne réussit pas à l’éviter et s’emmêla les jambes. Trébuchant de ton son long, il emporta la vampire dans sa chute.

Les rues du Quartier Populaire étaient sombres. Un lampadaire défectueux clignotait non loin d’eux et des gens malcommodes semblaient s’intéresser à leur présence. Robin tenta de se relever, mais poussa plutôt un cri de douleur. Il s’était foulé la cheville gauche. * Merde et re-merde… ‘Manquait plus que ça.* Il avait une cruelle envie d’alcool fort pour oublier, encore. Secouant la tête pour chasser ces pensées, il se tourna vers la rouquine et lui demanda : « Qu’est-ce qui t’a pris? » Sa voix avait un brin de reproche, mais il était également inquiet… Alors, pour éviter qu’elle croie qu’il lui en voulait, il ajouta : « Ça va? Rien de casser? », puis il se traîna par terre pour s’approcher d’elle et déposer une main éraflée sur son bras.

HJ: mon dieu mon dieu, le jour où j'aurais pas de retard pour répondre faudra s'inquiéter pour moi..

La chute fut pour Krimh aussi surprenante que le départ le fut pour Robin. Elle avait senti qu'il avait failli trébucher quelques fois, mais elle oubliait peu de temps après que tout le monde n'avait pas les mêmes capacités physiques qu'elle, alors elle s'était contentée de courir, sans réelle destination. Alors, le choc de la chute dû la secouer encore plus, au point de mettre la jeune vampire dans un état de vulnérabilité émotionnelle importante, la fatigue prenant le dessus sur le détachement qu'elle s'imposait. Or, les facettes les plus sombres de son être se réveillaient elles aussi, d'autant plus qu'elle pouvait sentir tout près d'elle les quelques gouttes de sang qui devaient s'échapper de sa main. Par dessus cela, elle entendait le pouls rapide et inquiet du jeune homme ; elle avait, juste à côté, d'elle sûrement la proie la plus facile qu'elle ne pourrait jamais avoir, et elle en avait conscience. Elle en avait même envie, envie de rompre ces années lutte contre elle-même et de plonger ses crocs dans la chair de cette personne pourtant si chère.

Cependant, ses crocs avaient déjà mordu dans quelque chose cette soirée là, puisqu'en tombant, Krimh s'était mordu la langue. La douleur était affreuse, et elle était en plus couplée à ses autres tourments, et là était sa véritable souffrance. Alors, elle se releva lentement en prenant appui sur ses mains qui portaient leur lot de cicatrices pour faire face au violoniste. La rouquine lui répondit avec difficulté.

" Non, rien de.. Cassé. "

Elle ne lui retourna pas la question, beaucoup d'indices lui montraient qu'il s'était blessé. Mais, à la place, Robin pouvait voir un spectacle qui pourrait lui faire rapidement oublier sa blessure. La vulnérabilité émotionnelle se traduisait chez la vampire par un changement drastique d'attitude et de posture. Elle avait les pupilles dilatées, se mordait la lèvre et on pouvait voir que tout son corps se raidissait comme un signe de sa lutte entre ses instinct et ses principes.
À cela, et à cause de cela vint s'ajouter une violente migraine, qui tordait un peu plus son expression, qui en cette occasion reflétait bien ses tourments.

"Je suis tellement désolée.. "

Ces mots, à peines audibles, restaient extrêmement vagues, même elle ne savait pas exactement pour quelle raison précise elle les avait prononcé, peut être pour s'excuser de sa nature, ou de l'avoir entraînée dans sa course et avoir causé sa blessure, ou encore pour ce qu'elle mourrait d'envie de faire. Quoi qu'il en était, ces excuses étaient sincères, car elle se mit à pleurer en les donnant.