Un son dans le bruit

[HJ: Soyez indulgent, s'il-vous-plait, c'est une première ]

Krimhilde avançait lentement dans les ruelles, tapant le sol de sa canne à intervalle régulier, troublant le silence gênant des rues au beau milieu de la nuit. Chaque choc de la canne sur le sol, suivi d'un pas, léger mais pesant à la fois, résonnait contre les parois resserrées des immeubles du quartier.
Elle avait l'habitude d'emprunter ce chemin, car en effet, chaque pas qu'elle faisait, elle l'avait déjà fait toutes les nuits à la même heure depuis maintenant plus d'un an.

Cette nuit, il tombait un léger crachin, susceptible de tourner en un méchant orage d'un moment à l'autre. Mais cette nuit là, Krimhilde percevait, en plus du bruit des goutes s'abattant violemment sur le sol depuis les gouttières, un bruit suspect qu'elle avait déjà entendu quelque part. Or, cette nuit là, elle était seule dans la rue, elle n'avait entendu aucun bruit de pas, ni même de râle incompréhensible d'un ivrogne ayant abusé à nouveau des boissons alcoolisées.

Éloïse resta adossé au mur de pierre. L'humidité collait à ses longs cheveux blonds qu'elle avait gardée détachées et qui voltigeaient autour de son visage pâle lorsqu'un petit vent se levait doucement. Bras croisés sur son corset rose elle garda le visage rivé vers le sol, yeux fermés. Ses jupes noires s'entortillaient autour de ses chevilles et une fine pluie se mit à tomber.

Elle leva finalement le visage vers le ciel et observa l'orage qui se dirigeait vers eux au rythme du vent. Ses petites bottes de cuir trempaient dans un flaque d'eau alors que la pluie se faisait de plus en plus insistante. La vampire perçu au même moment des bruits de pas et un autre bruit étrange qu'elle eut grand peine à reconnaître. Son visage de porcelaine se tourna vers le bruit et elle marcha jusqu'au milieu de la rue pour empêcher la personne de passer. Une petite vampire à son odeur, faible... Elle fronça les sourcils et décroisa les bras pour porter ses mains à ses larges hanches en dévisageant la rue noire qui amenait avec elle une petite âme en peine.

-On a perdu son chemin? fit-elle du bout des lèvres en arquant un sourcil.

La petit silhouette qui s'avançait vers elle était chétive et faisait pitié à voir. Un vampire dans un si piètre état faisait défaut aux préjugés dont on affublait les vampires, disant qu'ils étaient tous d'une richesse considérable et d'une beauté surnaturelle, sans défauts aucun.

La grande vampire blonde resta immobile et reluqua la petite rouquine en loque et en poussière. Elle semblait bien fragile et inoffensive. Pauvre créature, vraiment, pensa-t-elle en la voyant.

Au son de ses paroles, Krimhilde fut interrompue dans ses pensées. Elle arrêta brusquement sa marche lasse en sursautant quelque peu. Elle lâcha alors une sorte de petit cri muet, dû à la stupeur.
Elle ne connaissait pas la personne à qui appartenait la voix qui l'interpellait, et cela l'effrayait. Sa main serra alors fort sa flûte qu'elle tenait dissimulée dans la manche droite pendante de son pull, trop grand pour elle. Sa tête resta baissée et son dos courbé.

Elle répondit alors quelques instants après, bégayant de sa voix douce et presque inaudible, couverte par le bruit des goutes de pluie s'écrasant sur le sol:
"N..non.. Je ne.. enfin.. je ne suis pas perdue.."

A ces mots, la pluie se mit à tomber de plus belle. Elle glaça alors Krimhilde jusqu'au fond de son être frêle et la jeune fille se mit à trembler, aussi bien à cause du froid mordant que de la terreur à laquelle elle était en proie.
Elle se trouvait face à son interlocutrice, trempée jusqu'aux os, ses longs cheveux roux couvrant en partie son visage crispé; on aurait dit un fantôme dans le halo spectral que créaient les minuscules gouttelettes d'eau libérées à l'impact des fruits du déluge qui s'abattait sur elle.

La petit fillette couina et Éloïse arqua un sourcil en la lorgnant de la tête aux pieds, une moue curieuse au visage. Elle semblait mourir de froid et d'une fragilité presqu'humaine.

"N..non.. Je ne.. enfin.. je ne suis pas perdue.."

La pluie se mit à tomber avec plus d'insistance et de larges goûtes glissèrent dans la nuque d'Éloïse qui frissonna et croisa les bras contre sa poitrine. Elle souffla doucement en observant la jeune vampire. Qu'avait-elle bien pu subir pour se retrouver ainsi? La pauvre petit créature tremblait de froid et de peur devant la vampire à la peau de porcelaine.

Éloïse sourit en coin en la dévisageant. Elle la trouvait bien mignonne et pour la première fois de sa vie, avait pitié pour quelqu'un, sûrement parce qu'elle était un vampire et qu'elle avait l'âge de sa meilleure amie quand elle est... enfin, pourquoi ressasser le passé? Elle haussa les épaules et fit un pas vers la jeune vampire.

-Tu es bien jeune, fit-elle du bout des lèvres.

Qu'avait-elle bien pu vivre? Si frêle et si petite, un vampire sans défense et sans vie, elle ressemblait plus à un enfant mort qu'un vampire. Aux allures fantomatiques, mais à la force moindre elle se rapprochait de l'humain plus que du vampire.

Éloïse fit un autre pas en sa direction.

-Que fais-tu seule ici? Où est ton mentor? demanda-t-elle finalement.

Un vampire illégal peut-être? Elle l'intriguait de plus en plus.

La jeune fille avait toujours l'inquiétude au ventre en entendant la vampire plus expérimentée s'approcher. Elle allait répondre tout aussi timidement que précédemment à la remarque sur son âge, quand sa mentor fut mentionnée. A ce moment précis, c'est comme si on avait transpercé le coeur de Krimhilde avec une épée. Cela faisait près d'un an que sa mentor avait disparue, et la vampire aux alures juvéniles ne s'en était toujours pas remise. Elle se mit alors à pleurer. Ses larmes passèrent presque inaperçues sous la pluie torrentielle, mais la rougeur de ses yeux indiquait que ses larmes étaient bien présentes et coulaient sur ses joues. Après quelques instants pendant lesquels Krimhilde était paralysée par la douleur, elle répondit avec une voix encore plus faible encore et la gorge serrée par la tristesse.

"Je n'ai plus de mentor.. "

Elle avait été seule toute sa vie, mais à ce moment là, elle avait du mal à supporter sa solitude. D'habitude, quand elle était dans cet état d'esprit, elle se mettait à jouer de la flûte, mais c'était actuellement impossible, à son grand désespoir. Elle aurait bien voulu partir, or le ton de la voix de son interlocutrice suggérait  qu'elle n'aurait pas été d'accord pour qu'elle parte maintenant.

-Je vois, minauda la vampire en souriant. Ne t'inquiète pas. Je n'en ai jamais vraiment eu.

Elle lui offrit un sourire attendrissant et fit un pas vers elle, mais garda une bonne distance pour ne pas l'effrayer.

-Tu sembles être une vampire bien jeune, cela ne doit pas faire bien longtemps que tu es transformée.

Elle resta songeuse un moment et la regarda de la tête aux pieds en scrutant les traits de la petite créature.

-Si tu restes ici toute seule tu vas te mettre en danger. Les membres de l'U.D.P.H sont très actifs ces temps ci. Il ne faudrait pas qu'ils tombent sur toi. Même si tu sembles si inoffensive, ils ne prendront pas de chance.

Elle fronça les sourcils et avisa l'instrument. Un large sourire étira ses lèvres.

-Une petite musicienne en plus? fit-elle ravie.

Elle adorait la musique et les musiciens. C'était quelque chose de bien important pour les monstres de leur genre, c'était comme un baume apaisant. Éloïse ne pouvait s'en passer, si ce n'était de son violoncelle et de son piano la moité de la ville serait vidée de son sang déjà. Elle resta songeuse un moment et détourna le regard en se perdant un moment dans ses pensées.

-Tu sais, fit-elle en levant les yeux vers la petite vampire. J'ai déjà un vampire sous mon aile. Mais il est bien indépendant maintenant et je n'aurai pas le choix bientôt de prendre une autre âme en peine avec moi. Tu sembles être parfaite. Musicienne de surcroît de plus. Tu me plais bien.

Le vent se leva agitant les longues mèches humides autour de son visage d'albâtre.

-Si tu veux bien sur. Rien ne t'oblige.

Elle perdit son sourire et haussa un sourcil en la jugeant un moment avec satisfaction. Elle était bien mignonne et n'aura jamais l'air d'une adulte. C'était parfait, vraiment.