Coup de cafard

Alice venait de prendre congé d'Elodie et elle se dirigea donc vers le squat. Mais d'un pas de plus en plus trainant, marchant au hasard, sans prendre le chemin le plus court ou le plus logique. Comme à chaque fois qu'elles se séparaient, le bonheur d'Alice commençait à vaciller. Élodie avait un don pour la distraire, l'amuser, lui faire oublier son quotidien difficile. Elle avait aussi tendance à l'éloigner des autres. C'était si facile de sa laisser aller avec elle. Alors quand Élodie n'était plus là, tout avait tendance à soudainement lui revenir en pleine face. Les questions qu'Alice ne voulait pas se poser, son sentiment de lâcheté devant sa relation avec son amie :Elle avait l'impression de profiter de tout et de ne rien donner en échange.
Mais revenir seule au squat lui rappelait également sa précarité, tout ce qu'elle n'arrivait pas à accomplir malgré sa jeunesse et son énergie. Une fois sur place, elle ne vit personne au premier abord et ne chercha pas à voir plus. Elle se laissa tomber dans un coin de la pièce, le regard vague, perdu dans le vide. Elle sortit de sa sacoche une petite bouteille qu'elle posa à côté d'elle. * Toi au moins, tu n'es pas compliquée à comprendre. Tu es toujours là et tu n'exige rien... * songea-t-elle. Son orgueil chercha alors à la convaincre que c'était « les autres » qui n'avaient pas fait l'effort, les autres qui étaient trop compliqués, elle, elle n'était pas fautive sans ses relations... mais la petite voix qui s'insinuait dans sa tête lui disait que non, le tord est toujours partagé. Elle ramassa alors la bouteille à côté d'elle et en prit machinalement une gorgée, pour faire taire la petite voix bien trop lucide. Plus le temps passait, plus les questions, les doutes et les craintes de son existence semblaient se jeter sur elle. Alice aurait voulu affronter tout cela, elle se rendait bien compte que l'alcool était la solution de facilité... mais n'avait-elle pas eu assez de durs moments dans sa vie pour avoir le droit d'arrêter de lutter ? Céder à la facilité, juste de temps en temps ? Elle contempla la bouteille et se perdit dans les reflets du liquide, oubliant le reste du monde autours d'elle.

[HJ : YEAH! On va RP ensemble! *saute partout, puis dans les bras d'Alice*]

Robin trainaît des pieds dans les rues du Quartier Populaire. Il avait fini une dure journée de travail, doublée d’une crevaison des pneus de son vélo, qu’il faisait rouler péniblement. Les passants le fixaient sans tact et son regard à lui leur répondait tout aussi froidement. Il aurait tant voulu pouvoir s’envoler, là, traverser le Quartier sans problème, mais non. Et, le pire, c’est qu’il avait laissé sa trousse de réparation au Squat. *Ça pouvait pas être pire…* Non, vraiment, il avait particulièrement hâte que cette journée se termine.

En arrivant, enfin, près de l’espèce de tunnel séparant le Bidon Ville du reste de la civilisation urbaine, le jeune hacker s’arrêta net. Trop de souvenirs tâchaient les œuvres peintes sur les parois rocheuses des murs. Son cœur se mit à battre la chamade alors qu’il avait la nette impression qu’il croiserait Krimhilde à l’autre bout, alors même qu’il savait très bien la chose impossible : il faisait encore grand soleil. S’il la rencontrait, il la verrait morte… À cette pensée, il continua d’avancer vers les bruits intempestifs du Bidon Ville, tout en se demandant ce dont aurait l’air un corps de vampire décédé… Leur enveloppe charnelle se réduisait-elle en cendres? Mourraient-ils comme s’ils avaient été aux prises avec une crise cardiaque, un arrêt cérébral-vasculaire ou encore finissaient-ils pétrifiés, comme l’effet du regard d’une médusa? *Merde… Arrête de penser à ça! C’est ta déformation professionnelle qui parle.*

Finalement, il atteint les lieux miteux où courraient des enfants sales, mais heureux. Il faillit bifurquer vers la droite, pour aller au taudis de sa vampire bien-aimée, mais se retint. *Elle doit dormir… Tu la dérangerais, c’est tout.* Il prit finalement le chemin du Squat, toujours avec son véhicule devenu inutile. En avançant toujours, il se dit que l’air était un élément bien essentiel au cours de la vie, autant pour les humains que pour les objets.

Des cris de goélands perçaient le ciel pendant que eux, non loin, piquaient vers les restes trouvés dans la déchetterie non loin. L’odeur pestilentielle ne pouvait d’ailleurs laisser aucun doute sur son existence. Et, plus Robin s’approchait du Squat, plus les effluves nauséabondes étaient présentes. Heureusement, une fois qu’il fut entré dans l’enceinte de l’ancienne usine désaffectée, les murs servirent à bloquer le tout un peu, mais, alors qu’il arrivait dans la plus grande salle, il vit des couleurs éclatantes qui détonnaient dans l’univers de gris qui l’entourait. *Alice!* En effet, c’était bel et bien son amie…

« Eh, salut! », lâcha-t-il, en laissant tomber son vélo doucement sur le sol.

Il y avait si longtemps qu’il l’avait vue… En fait, il y avait si longtemps qu’il était venu en ces lieux! Il fut alors heureux de la voir et s’approcha d’elle. Un 12-pack de bières traînait dans un coin de la pièce et il se permit d’en prendre une en laissant quelques pièces de stratos dans le pot des contributions juste à côté. Puis, il se laissa choir dans le même divan miteux, décapsula sa bouteille, en prit une longue gorgée et fixa la graffiteuse… Ouff… Elle avait déjà bu pas mal, il aurait pu le jurer. Sur le coup, il se dit que c’était dommage qu’elle l’ait fait sans lui et qu’il devrait rapidement la rattraper… Il n’aimait pas être lucide en présence de personnes qui ne l’étaient pas. Le contraire, par contre, n’était pas un problème pour lui. Alors, il prit une énorme lampée de son breuvage alcoolisé avant de se tourner de nouveau vers la jeune femme et de lui demander : « Comment ça va, toi? », alors que le ton de sa voix laissait clairement entendre qu'il voulait savoir ce qui n'allait pas, en fait.

Alice entendit une voix, puis réalisa quelques secondes plus tard qu'on l'avait salué. Elle se secoua intérieurement pour reprendre un peu ses esprits. Elle n'aurait pas su dire depuis combien de temps elle rêvassait ainsi. Et comme souvent lorsqu'il s'agit des rêves au réveil, elle ne savait même plus vraiment à quoi elle pensait. Seul subsistait un sentiment de vague à l'âme. Mais peu lui importait, elle avait de la compagnie. Ça lui ferait du bien. « Hey, salut Robin ! » Dit-elle d'une voix un peu faiblarde. Ce son mal contrôlé l'agaça. Elle se racla la gorge et reprit d'un ton plus assuré : «  Ça va... ». Mais à nouveau sa voix se perdit dans cette réponse qu'elle savait ne pas être honnête. Elle hésita entre prétendre que tout allait bien et parler, juste parler. « Enfin, je veux dire... je pense à trop de choses, y'a des jours comme ça... mais ça passera...» Comment lui expliquer ? Quoi lui expliquer ? Alice elle-même n'était pas sûre de savoir par quoi commencer. Et il lui restait toujours cette once de fierté mal placée qui se refusait à parler. Pour sauver encore les apparences et gagner un peu de temps, elle ajouta : « Et toi, quoi de neuf ? Ça faisait longtemps... c'est bon de te revoir » Et cette fois-ci, sa voix n'avait pas tremblé ou faiblit. C'était plus facile de dire la vérité que de mentir quand on avait déjà un peu trop d'alcool dans le sang.