Sous les étoiles [PV: Raphaëlle]

Suite d'un appel

Robin ne toucha pas à son ordinateur entre le moment où il eut raccroché et celui où il sortit de chez lui. Il ne prit pas non plus ses pilules, mais prit soin de glisser le contenant dans sa poche de pantalon. En fait, il ne fit presque rien, allongé sur son lit à écouter de la musique planante dans ses écouteurs. Finalement, quand vingt minutes furent passées, il sortit de chez lui après s’être bien vêtu et après s’être assuré trois fois que sa porte était bel et bien barrée. Il hésita à passer au tabac du coin pour y acheter un produit alcoolisé et une bourrasque de vent bien froide le fit se décider. Il se hâta donc et opta pour un whisky de moyenne qualité qu'on lui remit dans un sac de papier.

Devant l’immeuble où logeait Raphaëlle, il n’eut même pas besoin de sortir le papier où il avait écrit le code pour le composer correctement. Ponctuel et en forme grâce à ses longues heures de vélo quotidien, il peina quand même à monter tous les étages et dut s’arrêter quelques fois, trop borné qu’il était pour prendre l’ascenseur… Et puis, il était en avance. C’est en sueur qu’il arriva finalement au toit, à l’heure telle que conclue : 20h30. Le vent de mi-juillet se faufilait entre les couches de ses vêtements, mais ne le frigorifiait pas encore. En effet, vêtu de son éternelle veste rembourrée grise, il était bien au chaud. La lumière blanchâtre de la Lune, qui serait pleine dans moins d'une semaine, faisait briller les cheveux de Robin et leur donnait une apparence encore plus pâle qu’à l’habitude.

Il ne dit rien pour divulguer sa présence. Il s’avança seulement et, plus il s’approchait, plus il distinguait le visage de Raphaëlle et cette simple vision le fit sourire de plus belle. Il se demandait où leurs conversations les mèneraient.

Si la rouquine avait bien une passion depuis son plus jeune âge c'était bien l'astrologie. Il y avait tant de choses à découvrir, de planètes dont on ignorait jusqu'à même l'existence et d'astres magnifiques que tout cela lui donnait le vertige. Elle ne rêvait pas de partir vivre sur la lune comme certain, ni même d'y faire un petit pas d'homme ou bien un grand pas pour l'humanité. Non elle voulait juste assouvir sa soif quasi-insatiable de connaissance. C'était pour elle un besoin vitale. S'il lui arrivait fréquemment d'oublier de s'alimenter, jamais elle ne négligeait de s'instruire.  Dès qu'elle fut en âge, Raphaëlle avait étudié la science astrale avec un fort engouement. La seule réelle barrière à tout cela était sa phobie de la pleine lune. Et dire qu'elle l'avait vraiment aimée par le passé ! Elle s'était languie devant son claire-obscure si particulier. Elle n'avait alors que six ans à cette joyeuse époque et au lieu d'aller se coucher dans son lit, elle ouvrait ses volets et restait à la fenêtre toute la nuit. C'était son père qui la retrouvait endormie quelques heures plus tard et qui la bordait ensuite avec délicatesse dans ses draps roses. Elle s'insurgeait quand les autres enfants de sa classe prétendaient que la lune était en fait du fromage. Elle leur expliquait alors que non c'était un astre, le principe de la face cachée et aussi que c'était juste une grosse pierre. Mais ses discours trop avancés pour son jeune âge, n'intéressait personne. Et finalement au lieu de camper sur ses positions, elle souriait aussi auprès de ses camardes de jeu en riant. Elle avait été une petite fille pleine de vie et toujours de bonne humeur. Elle avait eu des amoureux à la pelle, tellement qu'elle était avenante, toutes les petites filles voulaient être sa meilleure amie... Mais tout cela c'était le passé.

Aujourd'hui, elle était une femme qui faisait fuir les autres tant pas son manque de manière que par son insistance à vouloir leur apprendre des choses qui les indifféraient au plus haut point. Elle avait perdu en partit son sourire et sa bonne humeur que les gens lui connaissaient. Elle était assez distante de tout et quand elle riait... c'est qu'elle se moquait, parfois avec mépris, des autres et de leur ignorance. Elle n'avait plus la réputation de faire craquer tout le monde en dévoilant ses dents planches, mais de les pousser tellement à bout avec son entêtement qu'il était étonnant de voir que personne ne l'avait encore noyée. Même le plus calme des hommes, avait fini par perdre son sang-froid tant elle l'avait poussé à bout.

Au final, elle avait de meilleurs relations avec les marginaux, les créatures et les psychopathes en tout genre qu'avec des humains sains et équilibrés. Elle avait justement rendez-vous avec l'un d'eux ce soir. Un jeune doté d'un QI hors nome, un peu comme elle, qui n'était en rien amateur de mondanité ou même de conventions sociales chronophages. Il allait à l'essentiel et elle avait vraiment apprécié cela chez lui. Quand il arriva, elle était en plein bidouillage d'un des trois télescopes qu'il y avait sur le toit. L'accès y était interdit, mais elle avait obtenu une dérogation avec la permission de s'y établir directement signé de la main d'Archibald Vasseur. Malgré le changement de commandant ses dernières années, aucun n'avait mis fin à ce droit.

Elle ne l'entendit pas s'avancer vers elle. C'est sa vision périphérique qui lui envoya le signal qu'il y avait un mouvement. Elle sursauta et tomba du petit tabouret de pécheur qu'elle utilisait. Le cul par terre, elle posa la main sur son cœur qui battait la chamade et leva les yeux vers le jeune homme. Se sentant ridicule d'avoir tressailli de la sorte au point d'avoir rencontré le pavé glacial, elle éclata de rire.

« Il ne faut pas surprendre les gens quand ils sont concentrés sur leu travail ! Heureusement que je n'ai pas de problème cardiaque... sinon je pense que ton arrivée  m'aurais causé un infarctus ! »

« Mais… je n’ai rien fait de plus qu’être là. »

Malgré sa remarque, Robin nota mentalement qu’il valait mieux annoncer sa présence avec Raphaëlle. Il avait lui-même été surpris que son silence ait pu la faire tomber de son tabouret et avait sursauté quand cela s’était produit. Malgré qu’il ne s’épanchait pas en excuses, il aida, après avoir déposé la bouteille d’alcool par terre, l’astrologue à se relever en disant : «  Je ne voulais pas te surprendre ainsi. » Au passage, il remarqua qu’elle était aussi petite que lui, ou peut-être un peu plus même.

Par la suite, il observa tout l’équipement qui l’attendait et eut des yeux ronds d’envie. Des télescopes comme il n’avait encore jamais eu l’opportunité d’en utiliser s’offraient à lui. Comme un enfant, il avait soudainement envie de se précipiter sur le premier et d’y observer le firmament, mais sa bienséance lui ordonna de rester où il était et d’attendre. Il ne savait pas se servir de ces appareils et il était hors de question qu’il bousille ses chances de les utiliser encore juste par maladresse! Raphaëlle serait sans pitié, il le sentait.

Ne sachant que faire, il finit par ramasser ce qu’il avait apporté et demanda à son hôte : « Bois-tu du whisky parfois? »

(HJ et tiens voila du RP :p)

Raphaëlle n'attendait pas vraiment des excuses de Robin, ce qui était une bonne chose parce qu'il s'était justifié plus qu'autre chose. Elle était assez moralisatrice dans l'âme. Il était donc très naturel chez elle, qu'elle passe son précieux temps à faire diverses remontrances pas toujours légitimes. De plus, elle avait du mal à ressentir plusieurs choses en même temps, donc cet épisode prit fin aussi vite qu'un pet de mouche.

La petite rouquine fut bien contente de l'arrivée de son nouvel ami. Une fois qu'il l'eut aider à se relever, elle constata qu'il était quasiment aussi petit qu'elle. Ce qui était assez rare chez les hommes en général. Soudainement, elle ne se sentait pas aussi minuscule que d'habitude. Sans le faire exprès, le jeune homme venait de reporter un point affectif en plus auprès d'elle.

« Du whisky ? Oh ! Bah écoute, je n'avais rien prévu de mon côté, alors je pense que c'est une très bonne idée ! »

Elle se tourna ensuite triomphante vers ses outils. Les points sur les hanches, un air malicieux sur le visage et un grand sourire qui lui dévoilait toutes ses dents blanches, elle lui montra avec fierté ses télescopes. Si elle n'avait pas pensé à prendre une collation, en revanche, elle avait fait monter deux tabourets. Elle se dirigea vers un amas de feuilles, qui étaient maintenus des caprices du vent par un morceau de parking. Elle ramassa l'un de papier et lui montra.

« Voici une carte stellaire ! Elle va te permettre de te repérer avec le télescope... Mais, il existe aussi une application sur le téléphone, si tu as un smartphone, passe-le moi, je vais te la télécharger et la débloquer. Il faut des codes pour l'activer. Du moins celle-ci. C'est un outil de recherche qu'a développer un des mes anciens camardes de classe... »

[HJ: Merci! ]

Robin sourit : il n’avait pas fait de bourde en apportant l’alcool. Il lui était déjà arrivé d’en offrir à un… alcoolique anonyme. Le malaise avait été grand et, malgré qu’il essayait de ne pas trop y penser, cette anecdote lui revenait toujours en tête à ces moments-là. Il déposa à nouveau la bouteille sur le sol et reporta son attention sur Raphaëlle, petit bout de femme fière comme un paon… et il y avait de quoi!

Pendant qu’elle lui expliquait l’utilité des cartes stellaires, le hacker, n’y tenant plus mais n’osant pas encore mettre son regard dans l’objectif d’un télescope, s’assit sur un tabouret, face à l’astrologue. Il prit la carte qu’elle lui tendait. Ses connaissances dans le domaine étant plutôt limitées, il ne comprit pas tout ce qui y figurait. Il n’avait qu’une envie : la décodée au plus vite.

Quand la scientifique mentionna une application pour téléphones intelligents, Robin sourcilla légèrement. Il en avait bel et bien un, mais l’idée de le mettre dans les mains d’une employée de l’UDPH n’avait jamais été dans ses plans. Et cette éventualité ne lui plaisait pas davantage. Après tout, qu’ils s’entendent bien n’impliquait en rien l’impossibilité d’une opposition de valeur et de camp… Après tout, qu’est-ce qui lui assurait qu’elle ne savait rien de lui, qu’elle ne l’avait pas espionné de sa fenêtre haut-perchée? Après tout, peut-être son ordinateur était-il sous surveillance, malgré qu’il fasse tout son possible pour l’empêcher? Après tout, que savait-il des aptitudes de cette femme en informatique?
Absolument rien!

« Je préfère le papier, merci. », lâcha-t-il enfin, avant de laisser ses pensées divaguer davantage dans scénario catastrophe.

Encore bien conscient et lucide, le schizophrène sentait néanmoins poindre en lui les germes d’une psychose. Peut-être ferait-il mieux de prendre ses foutues pilules? Dans sa tête, des conversations avec Lucy se mêlaient à celle avec Luce Leroy. L’unanimité : on lui disait de prendre ces comprimés. L’objection : il n’avait aucune envie de se gaver de ce qu’il appelait affectueusement – humhum – ses placebos, convaincu – parfois – de leur inutilité factuelle. Dans un geste nerveux, il empoigna le contenant qui saillait de sa poche, comme on serre une balle anti-stress pour s’éviter d’exploser de colère ou d’angoisse. Son visage ne traduisait pas grand-chose de ses états d’âme, sinon une légère inquiétude.

(hj: marathon RPéééééééééééééééééééééé)

Raphaëlle avait beau, être à un des postes les plus importants de l'UDPH, être responsable du seul laboratoire qui travaillait directement avec le Commandant et avoir un des plus gros QI de Ténébris, elle était d'une naïveté déconcertante. C'est donc très naturellement qu'elle cru que jeune homme quand il lui mentit en prétextant préférer le papier. Elle leva un sourcil, ne comprenant pas que l'on soit adepte de la difficulté à ce point-là. Elle se contenta de hausser les épaules, un peu contrite.

« Bon, j'ai déjà effectué les réglages de toutes façons. Et dans une heure Vénus apparaîtra. Je te monterais à ce moment-là comment utiliser le chercheur. Tu verras, ce n'est pas très compliqué. C'est une question d'habitude... »

Puis, elle commença à entrer dans les détails techniques, sans voir que Robin trépignait d'impatience, comme un enfant devant le sapin le matin de noël. Pédagogue de nature, elle prenait vraiment son temps pour lui expliquer de sorte qu'il puisse prendre compte des tenants et des aboutissants. Elle lui montra des constellations sur la carte puis elle les pointa ensuite du doigt dans le ciel.

Un grand sourire s'affichait sur son visage. Elle avait toujours été passionnée par les étoiles et ce soir, elle partageait ça avec une personne au QI élevé. Elle sortit son paquet de cigarette de sa poche et en glissa une entre ses lèvres pulpeuses. A l'aide d'un briquet, elle l'alluma. Elle le tendit le sachet cartonné vers lui pour lui en proposer.

« Par contre, je n'ai pas de verre pour le whisky... Ça ne te pas pose un problème de boire à la bouteille par hasard ? »

La frénésie qui habitait Robin quelques minutes plus tôt était toujours présente, mais un voile s’était installé sur sa joie. La voile de sa paranoïa naissante. Une fois le mécanisme de suspicion enclenché, il était difficile de l’arrêter, les inquiétudes faisant boule de neige et devenant souvent certitudes dans sa tête. Malgré tout, il arrivait à trouver un réel plaisir dans ce qu’il faisait et dans ce qu’il apprenait, écoutant et enregistrant la moindre information que lui transmettait l’astrologue. Il opinait du chef pour montrer qu’il comprenait ce qu’elle disait, et parfois, il l’arrêtait pour avoir des précisions, mais sinon, il ne disait mot. À la fin, le jeune homme ne put détacher son regard des constellations qu’il venait de découvrir. Le firmament semblait, d’un coup, vouloir lui révéler ses secrets et il était toute ouï… ou toute vue, plutôt. Toutes étoiles réussirent même à mettre de côté un peu les questionnements de Robin sur Raphaëlle et son rôle à l’UDPH… Tant que la conversation ne devenait pas trop personnelle, il se sentirait bien.

Puis, la scientifique se sortit un paquet de cigarettes et en proposa une à Robin. Le jeune hacker avait déjà fumé, et cela pouvait lui arriver, mais tellement rarement qu’il ne savait plus s’il devait prendre ce petit bâton ou décliner l’offre. Il finit par tendre la main et en saisir une, sans toutefois avoir pris de décision. Il la fit tourner délicatement entre ses doigts,  l’air de lui lancer un défi, mais ce fut lui qui perdit… Pourquoi pas, après tout? Il laissa sa cigarette se faire allumer et en prit une petite inhalation pour commencer. L’air chaud et toxique se répandit dans ses poumons et cela le détendit.

« Aucun problème. », répondit-il, le sourire en coin. Lui-même ne se formalisait que très peu du contenant où il buvait son alcool. Auparavant, dans le Squat, le bouchon d’un alcool fort devenait vite un verre à shooter, et ce, pour tous… Alors, bon, boire au goulot avec cette femme ne le rebutait aucunement.

Et, comme s’il n’attendait qu’un signal de son hôte, il empoigna la bouteille à ses pieds et la déboucha. Il l’apporta à son nez et huma le parfum épicé qui s’en dégageait. Il laissa échapper un soupir de contentement. Inconsciemment, Robin avait envie de boire à en perdre la carte… tant qu’il puisse voir les perséides. Mais n’empêche. Ces dernières semaines avaient été hautes en émotion et il avait souvent eu envie de se défoncer pour remédier à ses vagues à l’âme. Mais, seul, il n’avait pas l’habitude de se saouler, ce qui n’était pas une mauvaise chose en soi.

Il finit par tendre la bouteille d’alcool à Raphaëlle, lui laissant la première gorgée. Au même moment, il l’observa et se demanda s’ils finiraient par se voir de jour. En même temps, une partie de lui ne le désirait pas vraiment. La noirceur de la nuit, la lune, les étoiles et leurs secrets apportaient un halo de mystère à leurs rencontres, comme si leurs discussions se passaient dans un autre espace-temps. Et cela lui plaisait tout particulièrement.


[HJ : Je prends pour acquis que Raphaëlle lui a passé son briquet ou a allumé sa cigarette. Si c’est pas le cas, dis-le moi. ^^ Au fait, Raphy, ce serait cool de créer le Squat dans les lieux du QP éventuellement. ]

Raphaëlle avait proposé une cigarette au jeune Robin. En le voyant, elle était loin de se douter que ce n'était pas sa première fois. Il semblait un peu septique, un brin novice, mais il se décida, finalement, à en prendre une. Elle regarda son petit manège avec amusement. Elle s'attendait vraiment à le voir tousser et recracher ses poumons. Elle lui passa son briquet pour qu'il l'allume, et c'est ce qu'il fit. Il inspira la fumée et finit par la relâcher sans même sourciller. Elle aurait presque put être déçue, si elle y avait porter un intérêt quelconque. Ce qui n'était pas le cas.

Elle saisit la bouteille de whisky et en bu une rasade. Bon il était loin d'être mauvais. Elle était habituée à des alcools de piètre qualités en raison de ses moyens financiers. Le goût était un peu fumé et pas mauvais. La boisson était légèrement tourbée ce qui la rendait agréable en bouche, à condition d'aimer quand le tanin embaumait autant. Ce qui était son cas. Elle n'était pas très difficile la scientifique de toute façon.

Elle était loin de se douter ce que pensait son acolyte d'un soir, de l'imaginer paranoïaque. Et même si cela avait été le cas, cela n'aurait pas pu changer grand chose. Elle aurait peut-être essayé de le mettre en confiance, comme elle le faisait avec ses cobaye en usant d'une étonnante patience et d'une douceur folle. Il était si difficile de l'imaginer capable de cela, quand on la voyait, on avait le sentiment qu'elle n'était capable que de brusquerie et de fougue.

« Tiens, regarde ! » dit-elle en pointant du doigt le ciel.

Elle lui expliqua que les étoiles filantes étaient en réalité des météorites qui perçaient la couche d'ozones, qu'elles étaient à peine aussi grosse d'une bille. Elle partit ensuite dans des explications scientifiques et des calculs mathématiques sur le type de pierre et l'équation qui permettait de connaître la réelle dimension du caillou avant même qu'ils atteignent la couche d'ozone ! Elle se tourna vers lui en souriant. Puis avec sa main gauche, elle fit un réglage, en frôlant le genou de Robin.

« Regarde dedans maintenant... »

Robin était le genre de personne à aimer son alcool prononcé, fort, voire agressant presque. Il lui arrivait encore de boire dans le but ultime de s’enivrer, mais cela était bien rare maintenant. Alors, quand il s’offrait une boisson alcoolisée, le goût devait être au rendez-vous! Niveau bière, il ne jurait que par la noire, de par son goût doux-amer qui restait en bouche longtemps après le passage du liquide velouté. Pour le vin, il lui en fallait un, rouge de préférence, bien rond en bouche, dont les arômes se répandaient sur toutes ses papilles. Et, maintenant, le whisky : un tanin vigoureux, avec un léger parfum caramélisé. Une fois qu’il avait découvert cette marque, le jeune homme n’en avait plus voulu d’autre. C’est donc goulûment qu’il s’en versa dans le bouchon, cigarette au bec, et qu’il le vida d’une seule traite, après avoir déposé la bouteille à ses pieds. Il ferma les yeux pour bien savourer les saveurs qui envahissaient ses papilles.

Par contre, à l’exclamation de Raphaëlle, il les rouvrit rapidement, juste à temps pour voir quelques étoiles filantes. Il se jura mentalement de ne plus fermer les yeux ainsi ce soir. Il ne voulait manquer une seule autre étoile… ou météorite, en fait. Bien qu’il connaissait une partie des informations transmises par la scientifique – la première, en l’occurrence –, Robin buvait ses paroles. Il était totalement fasciné par la facilité avec laquelle elle lui expliquait tout cela. Et les détails qu’elle y mettait étaient carrément époustouflants! Quand elle lui sourit, il lui sourit largement à son tour. Il se sentait de nouveau réellement bien avec elle. Sa paranoïa était partie se cacher dans un repli de son cerveau malade. Et ses pilules étaient toujours dans sa poche. Il finirait peut-être par les prendre, mais ce ne serait peut-être pas une bonne idée, avec tout l’alcool qu’il ingérerait bientôt… D’ailleurs, pendant que la rouquine faisait les réglages sur l’appareil, il prit une bouffée de cigarette et se permit une deuxième rasade. En redescendant sa main, il accrocha doucement et maladroitement la jambe de Raphaëlle, qui était définitivement dans son espace vital. Ne sachant que faire, il ne dit rien.

Puis, à sa demande, il se pencha sur l’objectif et y mit son œil. Ce qu’il vit alors dépassait même ce que son imagination aurait pu se permettre. Une étoile filante passa dans sa mire et le hacker put déceler les flammèches naissantes sur la bille-météorite. La rapidité avec laquelle elle fila ne l’empêcha pas de saisir les nuances de la transition qui venait de s’effectuer sous son œil attentif… Œil qui voyait d’ailleurs maintenant une ligne noire là où était la perséide quelques secondes plus tôt. À moitié aveuglé, il recula sa tête et cligna des yeux, allant jusqu’à les frotter. Puis, se tournant vers Raphaëlle, il constata qu’il devait paraître bien idiot et éclata de rire.

« Haha! C’est aveuglant, une météorite enflammée, dis-donc! »

Malgré tout, il continua à cligner des yeux et rata ainsi ce qu’il venait tout juste de se jurer de ne pas manquer.

« Mais, c’est beau… captivant, je dirais même! Tu savais qu’une étoile filante passerait à ce moment-là? »

Se résignant finalement à lâcher son œil, le thanatologue aspira une bouffée de cigarette, comme pour mettre ses pensées ailleurs, puis reprit également une gorgée de whisky et repassa la bouteille à son hôte. Il commençait déjà à sentir les effets anesthésiant de l’alcool sur son cerveau. Souriant, il reporta son attention sur le ciel, juste à temps pour une autre pluie d’étoiles filantes. Son cœur d’enfant, qu’il n’avait plus retrouvé depuis très longtemps, se réjouissait de tous ces filaments lumineux.

Ses pensées vagabondant, il se demanda, tout en fumant, ce qu’il aurait fait s’il n’avait pas passé la soirée avec Raphaëlle… Rapidement, il se dit qu’il aurait joué du violon. Certainement, même : le moment était simplement trop féérique et inspirant. D’ailleurs, son instrument lui manquait et il regrettait de l’avoir laissé dans son appartement… Puis, il se demanda si Lucy regardait elle aussi le ciel à ce moment précis. Une pointe de jalousie le prit quand il l’imagina entourée d’amis, mais il la fit partir vite. Déjà, ce qu’il savait d’elle ne lui permettait pas d’admettre pareil scénario comme plausible, puis lui-même n’était-il pas en compagnie d’une charmante dame? Car, oui, bien que Robin n’éprouvât aucun désir sexuel, il appréciait quand même les beaux visages et les personnalités agréables… deux caractères qui pouvaient rendre Raphaëlle « charmante » à ses yeux.

Raphaëlle buvait souvent pour dans le but de s'enivrer. Non pas parce qu'elle était timide de nature, mais parce que c'était pour elle, un des rares moments où elle arrivait à se sortir son profond mal-être du fond de son âme et d'enfin être mentalement anesthésiée. Mais cela avait aussi tendance à exacerber sa libido. L'avantage de ce soir, c'est que pour elle, le jeune homme ressemblait plus à un gamin qu'un amant potentiel. Il y avait donc peur de risque qu'elle le pousse dans ses retranchements. Ce qui n'était pas plus mal, parce qu'elle l'ignorait, mais il avait quasiment une phobie des rapports sexuels.

Elle avala une nouvelle gorgée de whisky sentant déjà le papillotement de la boisson engourdir son cerveau. Petite, plutôt maigre, elle ne tenait pas vraiment bien l'alcool, malgré le fait qu'elle ait une bonne descente. Elle tira une nouvelle bouffée de sa cigarette et expira la fumée après réflexion. Comment savait elle qu'un astéroïde tracerait sa route devant son objectif ? Elle ne le savait pas vraiment. Parfois, elle devinait où observer le ciel. La force de l'habitude peut-être ? Il y avait certes un schéma très aléatoire dans les météorites, mais elle avait le sentiment qu'il y avait une certaine récurrence aussi. Elle aurait bossé dans un observatoire, elle s'y serait peut-être penchée de plus près. Mais ce n'était pas le cas.

« Je ne sais pas... On va dire que je l'ai deviné ? »

« Tiens regarde, d'ici environ une heur, la comète L82-Fly, sera visible. Elle passe depuis bientôt une semaine dans notre système solaire. Elle devrait y rester visible encore... » elle regarda l'heure sur son téléphone. « ... environ 25 jours,13 heures et 58 minutes... enfin approximativement. Ce n'est pas à la seconde près non plus hein ! »

Elle lui expliqua ensuite comment ça se faisait qu'on pouvait la voire qu'à certaine heure. A cause bien sûr de la rotation de la terre. Puis elle lui expliqua que si l'on pouvait déterminer tout cela c'était grâce a de simple calcule. Le principe d'une simple carte stellaire, était de voir cela sans avoir à sortir sa calculette. Puis, elle lui montra sur le papier comment faire. Les heures, la rotation ainsi que d'autres données montrait ce que l'on voyait de visible depuis Ténébris...

« Tu sais l'astrologie, c'est vraiment passionnant. Personne n'a vraiment besoin d'être intelligent ou idiot pour en profiter. C'est vraiment simple pour tout le monde. Alors c'est certain qu'il y a divers niveaux de difficulté, mais même un enfant de 10 ans avec un QI moyen, peut regarder dans un télescope bas de gamme des étoiles et les admirer. S'il veut savoir ce qu'il regarde, il n'a qu'à tout simplement tourné cette partie de la carte... »

« … C'est pour ça que j'adorais déjà cela enfant. Je n'avais pas le sentiment d'être plus bête ou intelligente qu'une autre enfant. Je me sentais juste normale... Bon quand j'ai commencé à faire des calcules sur les coordonnées pour savoir si certaine planètes étaient visibles... mes parents auraient dû quand même se douter de quelque chose.. » dit elle en riant...

En effet. Enfant, personne n'avait diagnostiqué son QI très élevé. Les professeurs ne se préoccupaient pas trop d'elle. C'était une fillette un peu dissipée, bavarde, elle dessinait des personnages rigolo sur ses contrôles, mais elle semblait apprendre ses cours par cœur. Donc c'était une bonne élève. Avec des parents très sévères qui étaient réputés pour limite 'dresser' leur enfant, ils pensaient juste que chez elle, les deux géniteurs lui mettaient la pression pour apprendre. En revanche, eux, n'ayant pas de plainte des professeurs pour son côté légèrement indiscipliné, parce qu'elle avait de bonne note, n'avaient jamais cherché à approfondir la relation avec le corps enseignant. C'est seulement après s'être faite agressée par un loup-garou, avoir été kidnappée par l'UDPH pendant plus d'un mois et un internement dans un centre de repos... que le psychiatre qui la suivait l'avait diagnostiqué surdouée... même une petite génie si l'on en croyait son énorme QI...

[HJ: Ouf... Désolée pour la loudeur du post. ^^''''']

Quand Raphaëlle répondit à sa question-commentaire, Robin secoua légèrement la tête, comme pour se bousculer les esprits et chasser les pensées qu’il avait un peu plus tôt, puis prit la dernière bouffée de sa cigarette, un peu à regret... Ce petit bâton devenait vite addictif, merde!

« Haha… Une scientifique devineresse? », ne put-il s’empêcher de lâcher avant d’écouter ce que son interlocutrice ajoutait d’instructif.

Son « approximation » l’amusa totalement, mais il ne put lui en glisser un mot, seul un large sourire, car elle enchaînait déjà sur des explications plus précises les unes que les autres… Elle était devenue un véritable moulin à paroles et il semblait impossible de l’arrêter maintenant qu’elle était lancée! Ainsi, le jeune thanatologue ne l’interrompit-il pas. Non pas qu’il en ait eu envie non plus, mais les déferlantes de mots n’était pas forcément ce qu’il appréciait le plus au monde… tout dépendant ce qu’ils disaient. Heureusement, l’astrologue était définitivement plus pertinente que nombre de ses collègues – dont un en particulier. Cela n’empêcha quand même pas son esprit de vagabonder à nouveau, cette fois, songeant justement à ce collègue, Alex plus précisément, mais sans perdre d’ouïe ce que lui disait la rouquine. Parfois, Robin se demandait réellement ce qui pouvait lui passer par la tête. Comment pouvait-il sentir autant le besoin de s’exprimer sur des futilités? … Était-il capable de réfléchir? Cyniquement, il trouvait chez Alexandre un intérêt tout expérimental. D’ailleurs, quand Raphaëlle mentionna que l’astrologie pouvait être accessible aux moins intelligents, il pouffa. Il devrait tester cela avec/sur son collègue. Un jour… peut-être. Qu’importe.

Finalement, il haussa les sourcils de surprise quand elle lui partagea une tranche de sa jeunesse : « Ah oui? À quel âge? »

Lui-même, enfant, avait également fait preuve d’une grande intelligence et d’une curiosité hors-norme, mais là où il avait particulièrement excellé était le domaine musical… qui était aujourd’hui restreint à ses oreilles et sa chambre. Un soupir bien sonore s’échappa de ses lèvres quand il songea à ce que sa vie était devenue. En effet, le hacker était loin d’être un homme heureux. Son quotidien était monotone, si on oubliait ses activités clandestines… En même temps, ces mêmes activités ne faisaient que lui rappeler qu’il n’était libre nulle part, qu’il ne pourrait fuir le système qui l’étranglait un peu plus jour après jour. Même sur ce toit, il ne pouvait faire autrement que de se sentir observer… sans compter qu’une scientifique de l’UDPH lui tenait compagnie. Il la regarda furtivement, puis posa ses yeux au sol, manquant des tas d’étoiles. Soudainement, son intérêt pour ces filets lumineux avait chuté. Une masse noire se formait devant ses yeux et il n’avait qu’une envie : s’enivrer… Ou se jeter du toit? Ses pensées noires revenaient et c’est sans même considérer son hôte qu’il se leva et s’éloigna d’elle.

Oubliant totalement ses médicaments dans sa poche, Robin ne sentit pas son esprit glisser tranquillement dans le côté obscur de son cerveau. Le scénario de sa chute de l’immeuble n’était pas encore clair, mais s’esquissait. Si personne ne l’arrêtait, tout se précipiterait : sa psychose noire s’alimentant elle-même en une espèce de tumeur grossissant à vue d’œil, genre de parasite involontaire. Ce n’était pas la première fois que Robin songeait à sa mort – loin de là –, mais il était plutôt rare qu’une opportunité si grande – et haute – était à sa disposition quand il était dans pareil état d’esprit. Habituellement, il se contentait de s’étendre sur son lit ou d’écrire à Lucy, qui lui remettait les esprits en place en les bousculant comme seule elle savait le faire… Mais, cette fois, nulle Lucy et nul violon comme échappatoire.

Raphaëlle fronça les sourcils quand Robin la 'traita' de devineresse. Pour elle ce genre de pratique était soit de l'escroquerie, en tant que fille d'un des procureurs de la ville, elle savait ô combien c'était illégale et mensonge, pour elle qui exécrait le mensonge c'était une insulte, ou alors de la sorcellerie, ce qui revenait à la considérer comme un monstre du point de vue éthique de l'UDPH, chose qu'en tant qu'humaine à part entière et scientifique accomplie elle ne pouvait tolérer. Dans les deux cas, elle ne pouvait pas tolérer de se faire insulter de la sorte. Si le côté magie et compagnie était un secret bien gardé par le gouvernement et qu'elle ne pouvait pas y faire référence sans compromettre la sécurité de cette information, il en était tout autre pour l'escroquerie.

« Allons bon Robin ! La divination... Me traiterais-tu d'escroc ! Je ne suis pas bien certaine d'accepter la comparaison qui n'est guère flatteuse ! »

« … Pas plus qu'une allusion à ces personnages chimériques des contes de fée... Les sorcières vielles avec un grand nez vérolé ! Sans être particulièrement attentive à mon aspect physique... je trouve quand même cela très insultant ! »

La petite rouquine gonfla ses joues en signe de mécontentement. Son visage si pale parsemé de taches de rousseurs était rendu écarlate par un profond sentiment de susceptibilité. Mais le jeune homme ne pouvait pas savoir à quel point c'était vexant pour elle ! L'honnêteté et son humanité la rendait assez fière elle, tout comme son très gros QI. Être comparée à une créature et une menteuse était terriblement humiliant. Comme si on la disait sotte ! Même si son ton n'était pas celui qu'elle avait quand elle était furieuse, une moue désapprobatrice sur les traits de son visage en disait long... Puis elle soupira et leva les yeux au ciel.

« Tu sais quoi... je vais ignorer ton commentaire désobligeant ! Mais je ne suis en rien une pseudo devineresse ! J'ai juste calculé un algorithme, déduit et spéculer sur la position d'après les données que j'avais déjà ! Cela est parfaitement mathématique ! »

Elle balaya son commentaire de la main, pour signifier que cette conversation était terminé et qu'elle ne souhaitait pas revenir dessus. Elle lui tendit quelques papiers avec des calcules de coordonnées pour qu'il puisse constater de lui-même ses dires. Puis elle s'assit sur son tabouret et bu une rasade de la bouteille d'alcool qu'avait ramené Robin. Même s'il ne faisait pas très froid, la chaleur de la boisson lui fit un bien fou quand elle la sentit tomber dans son estomac. Elle soupira à nouveau.

Elle avait déjà constaté que le jeune homme n'était pas un garçon classique. Sa façon de parler, son comportement et d'autre indication qu'elle n'était pas capable de cité lui avait signifié qu'il était doté d'une intelligence bien supérieur à la moyenne. Elle n'avait pas le sentiment de parler à un personnage quelconque. Elle se sentait assez en phase avec lui. C'était peut-être pour ça qu'elle ne s'était pas trop énervée quand il l'avait prétendue devineresse.

« C'est un psychiatre qui a découvert mon QI quand j'avais douze ans. Peut de temps après mon internement dans le service psychiatrique de l'hôpital de Ténébris... »

Elle n'avait pas honte d'y avoir été interné à plusieurs reprises. C'était des faits, rien de plus. Elle savait que certain y allaient pour des soucis plus grave, comme des maladies mentales, des troubles du comportement, ect. Mais, elle s'était toujours bien entendue avec les gens qui y séjournaient. Certains les disaient fous, mais la folie était de croire que les fous étaient ceux qui étaient entre ses murs. Elle haussa les épaules...

« Et toi ? Quand et qui s'en ait aperçu ? »

[HJ : Bon! Première embrouille entre Robin et Raphaëlle! Ça devait bien finir par arriver! XD]

Robin n’écoutait plus son hôte que d’une oreille. Sa petite colère ne l’affecta qu’à peine, et encore moins se rendit-il compte à quel point le mot lui avait déplu. Le vent estival soufflait et lui chantait un refrain morbide. Les étoiles filantes au-dessus de sa tête ne semblaient plus l’égayer, mais refléter ses pensées qui lui échappaient, glissant comme du sable entre ces encéphales et venant détraquer leur mécanique. Il s’approchait inexorablement du bord du toit, mais Raphaëlle ne semblait pas porter attention à cette attitude particulière. Elle lui répondait comme si de rien n’était et allait même jusqu’à lui renvoyer la balle, comme si la conversation et la situation n’avaient rien de plus normale.

Le schizophrène s’arrêta net et tourna son regard aux sourcils froncés vers elle. Il lui fallut quelques instants avant de bien comprendre ce dont il était question : ah, oui, son QI… il n'entendit même pas la référence au service psychiatrique, qu'il avait lui-même fréquenté des années auparavant. En effet, Robin était un jeune surdoué, mais n’avait jamais été considéré comme tel. Jamais par des « instances compétentes » à tout le moins. Et jamais ne pourrait-il dire devant cette scientifique au service de l’organisation la plus répressive de la Ville qu’il avait su s’épanouir complètement en présence d’autres hackers et que ce n’est qu’en arrivant dans ce quartier de paumés qu’il avait rencontré les seules personnes qui l’est réellement vu comme il était : une personne intelligente avec un caractère… particulier, disons.

Bref, Robin gardait le silence, ne bougeait plus d’un poil. Son malaise pouvait se sentir à des kilomètres à la ronde et peut-être Lucy lui écrivait-elle en cet instant, par pressentiment. Mais qu’importe. Lui n’était pas dans sa chambre, n’était pas en sécurité… en tout cas l’était-il encore moins que d’habitude, ou le sentait-il ainsi, plutôt. Désireux de s’éloigner au plus vite de cette espionne potentielle, il s’approcha encore davantage de l’extrémité du toit. Dans sa tête se dessinait le scénario d’un complot : celui de sa séquestration sur ce toit, celui des expériences que cette scientifique voudrait et pourrait effectuer sur lui. Il était pris au piège, il le sentait. Tout cela n’avait été qu’une mise en scène pour l’amadouer, pour attirer lui et ses frères et sœurs d’arme dans les crocs de l’UDPH! Merde et re-merde! Il s’était fait berner comme un débutant! Il avait été si naïf! Pourtant, toutes les preuves étaient là, bien présentes, sous yeux… Pourquoi avait-il été si aveugle?

Son esprit déraillait complètement et il ne songeait même pas à « s’enfuir » par l’escalier d’où il était venu, car, pour lui, il était forcément et définitivement séquestré, du moins verrouillé.

« Personne! », lança-t-il à Raphaëlle quand il se fut finalement arrêté, toujours plus prêt à sauter. Ses neurones s’activaient et il calculait les risques encourus s’il se jetait bel et bien du toit. Il calculait également les probabilités qu’il soit retrouvé s’il s’en sortait vivant, les problèmes qu’il risquait de causer à son entourage… Que devait-il faire?

(HJ : C'est pas vraiment une embrouille, c'est un désaccord. Elle n'est pas en train de hurler les point sur les hanches... XD )


Raphaëlle avait beau être une petite génie sous ses aires de poupée de porcelaine bon marché et avec sa tenue qui en disait long sur sa pudeur, elle n'était pas vraiment experte en relation humaine. Pour commencer, elle n'avait pas d'empathie, de compassion. Elle-même n'arrivait pas à ressentit vraiment plusieurs sentiments en même temps. Tout cela mélangé ne l'aidait pas à comprendre l'attitude des gens qui l'entouraient. Alors, le sentiment de profond malaise que ressentait son interlocuteur en ce moment même... lui passait vraiment par dessus les chinions. Cependant, elle remarquait un changement dans son comportement. Robin, qui jusqu'à à la buvait ses paroles comme un chaton boit du petit lait semblait moins attentif, plus étourdi. Il s'était dangereusement rapproché du bord, comme s'il se sentait acculé. Mais elle ne le comprenait pas. Elle était capable de calculer une 'simple' équation différentielle de tête, mais pas de comprendre ce qu'il se passait dans la tête des gens.

Quand il lui répondit d'un ton tranchant que personne ne l'avait officiellement diagnostique surdoué, elle pencha la tête d'un côté un brin surprise. Mais comment était il possible que l'on ne s'en aperçoive pas ? Ce type était visiblement doté d'une intelligence hors des normes usuelles de la société. Elle appréciait le temps passé à ses côtés car elle n'avait pas à faire attention quand elle parlait de trucs scientifiques, même s'il ne connaissait pas forcement tout, son immense cerveau compensait et recalculait certainement les informations manquante pour combler les trous.

« Je sais que ce n'est pas indispensable, mais tu devrais quand même faire ce test, Robin. Tu sais... les gens ont souvent peu de considération pour les gens comme nous, peut-être parce que nous avons plus de mal en société à cause de toutes ses conventions sociales à respecter qui nous laisse indifférant... Mais je peux t'assurer que c'est un soulagement quand tu vois les trois chiffres prouvent ta forte capacité de réflexion... Mais après c'est à toi de réfléchir à cela. Tu es le seul à savoir ce qui pourrait être bien pour toi... »

Elle s'étira et se leva. Elle le voyait près de la bordure du toit, proche du garde-fou. Elle s'en approcha à sous tour gardant cependant une distance de courtoisie plus que décente. Cinq bons mètres les séparaient l'un de l'autre. Elle se pencha par-dessus la rambarde et inspira fort une bouffée d'air. Puis, elle regarda en bah.

« Hum... Nous sommes dans un immeuble de vingt étages, il doit donc mesurer pas loin de cinquante-neuf mètres. Une chute de ce niveau entraînerait une gravité suffisante pour qu'un corps d'environ cinquante kilogrammes tombe à trente-deux kilomètres à l'heure. Et donc répande la matière grise sur pas loin de deux mètres trente-deux de diamètre* ... » dit elle en riant.

Mouais. Bon Raphaëlle avait un humour.. particulier, qui n'était pas de très bon goût quand on était face à une personne en pleine crise de paranoïa. Elle aurait pu trouver des mots bien plus apaisants que cela. Mais ce n'était en rien la reine de l'empathie encore une fois...

« ...Enfin c'est approximatif ! Ce n'est pas tout à fait exact... Parce que bon, j'ai pris l'exemple sur si tu tombes... mais pas si tu sautes... là ça change encore la donne... »

(*Ce-ci est un calcul parfaitement fantaisiste, n'ayant aucune envie de me plonger dans les méandre de la physique à 10h du matin... )

[HJ : Bon, bon, d’accord. xD]

Les gens comme nous… Derrière lui, Robin entendit l’astrologue essayer de le convaincre des bienfaits d’un test de QI. Dans son état, il y était carrément indifférent… Ou, en fait, non. Il le trouvait surtout inutile. Comment trois chiffres prouveraient-ils au monde son intelligence, et surtout, en quoi cela changerait-il leur comportement à son égard? Au contraire, on lui ficherait une étiquette et plus personne ne pourrait la lui enlever ensuite… Ça, il ne pouvait l’accepter. Le plus loin il se tenait des étiquettes, le mieux il se portait.

Il ne répondit rien, renfrogné. Les gens comme nous… Ces mots se réverbéraient dans son cerveau, comme un douloureux élancement. En cet instant, il était à des années-lumière de se considérer dans la même catégorie que cette scientifique faussement naïve. Comme un écho, des brides de leur ancienne conversation au parc lui revinrent, particulièrement le moment où Raphaëlle avait affirmé ne pas pouvoir mentir. En y pensant, le jeune homme lâcha un soupir de dédain… Pour le coup, elle l’avait bien eu.

Les gens comme nous… La femme en question se leva alors et le rejoint. Malgré la distance qui les séparait, Robin fit un mouvement de recul et se tourna vers elle quand elle s’approcha. Un instant, il l’avait imaginée le pousser tout en bas. Instinct de survie, paradoxal dans son état, qui installa un doute dans son désir suicidaire. Voyant que l’employée de l’UDPH était suffisamment éloignée, le hacker s’approcha de nouveau de la rambarde et jeta encore un coup d’œil au sol, replongeant dans ses calculs. Comme si elle lisait dans ses pensées, Raphaëlle, elle, les fit à haute voix. Pendant qu’elle riait franchement, lui, riait jaune. Pour le coup, elle ne pouvait être on ne peut plus honnête.

Comment pouvait-elle dire cela en riant? Soit elle avait un humour particulièrement douteux, soit elle riait de l’imaginer sauter réellement… et cela, l’orgueil de Robin ne pouvait l’accepter.

« Parce que tu voudrais que je saute, hein? Ce s’rait sympa, voir mes encéphales répandre leurs filaments blancs partout, hein? Ce s’rait cool, voir ma p’tite cervelle surdouée et schizo succomber? T’aimerais sûrement étudier et examiner quelqu’un comme nous, n’est-ce pas? Ce s’rait bon, peut-être, pour la Protection de l’Humanité, non?»

Sa colère l’emportait et c’est sans respirer qu’il bombarda Raphaëlle de questions plus hargneuses les unes que les autres. Son cœur battait fort dans sa poitrine, envoyant le sang rapidement à son cerveau et son visage. Sa respiration était profonde, mais saccadée. Ses lèvres étaient pincées et ses sourcils, froncés. Sa folie parlait plus que tout, révélant bien plus de chose qu’il n’aurait pu le faire en étant pleinement conscient de ses moyens. Un vent frais passa, mais, les nerfs à vif, Robin ne le sentit qu’à peine.

Raphaëlle regardait Robin lui parler. Ou plutôt lui adresser la parole d'un ton acerbe et presque violent. Malgré tout, elle ne sembla pas vraiment affectée par ce changement de comportement. Quand il prononça le mot 'schizo', elle leva un sourcil. Un air presque malicieux s'afficha alors sur son visage. Loin d'être vexée, ou inquiète qu'il se passe quoi que ce soit, elle glissa une nouvelle cigarette entre ses lèvres et l'alluma. Elle hocha la tête. Bien. Elle comprenait un peu mieux sa réaction anormal et sa colère sans fondement. Sa maladie psychiatrique lui en disait plus long qu'il ne pouvait le vouloir. Même si elle n'avait pas de problème du genre, même si elle ne comprenait pas grand chose à la psychiatrie... elle était suffisamment intelligente pour savoir que les sautes d'humeur étaient bien souvent une des conséquences des troubles mentaux.

« Allons, allons Robin ! Ne te prend pas pour plus intéressant que tu ne l'ais vraiment ! C'est assez présomptueux de ta part ! » dit elle avec un sourire aux lèvres expirant une bouffée de fumée.

« Ta cervelle, même en bon état n'a aucun intérêt pour moi ! Je te rappelle que je suis physicienne... pas neurologue pas plus que je n'ai un doctorat en biologie. Cela est bien loin de mon domaine de prédilection. » elle haussa les épaules avant de se tourner de nouveau vers les lumières de la Ville.

Elle laissa un silence s'installer entre eux. Il avait aussi parlé de la Protection de l'Humanité. Jamais elle n'avait dit qu'elle y travaillait. Elle le savait... sans se cacher vraiment, elle ne tenait pas à ce que tout le monde le sache. D'ailleurs elle se serait bien gardée de le dire à sa famille, si Jonas, son ami d'enfance n'avait pas raconté à tout le monde en y arrivant. C'est pas que c'était vraiment un secret, mais plus de la pudeur. Elle savait que certaines créatures n'hésiteraient pas à la tuer si cela venait à se savoir. Mais ce n'était pas pour ça qu'elle taisait sa profession. C'était son jardin secret... sa passion et son plaisir. Cela ne regardait personne ! Un terrain de jeu qui n'appartenait qu'à elle et ses cobayes. Elle porta sa cigarette aux lèvres, aspira la fumée avant de la recracher à nouveau.

« … Comment sais-tu pour l'UDPH ? » dit elle doucement

Oui, il en avait définitivement trop dit, et même plus qu’il ne pouvait l’imaginer. Sur le coup, il ne s’en était pas rendu compte, mais petit à petit, il prit conscience des mots sortis de sa bouche et il se rongea la peau des doigts, comme il le faisait si souvent quand il était particulièrement nerveux… c’est-à-dire plutôt fréquemment. Le petit sourire qu’avait esquissé Raphaëlle  à l’entente de « schizo » ne laissait présager rien de bon pour Robin. Les nerfs toujours à vif, il aurait bien accepté une nouvelle cigarette, mais ne se rabaisserait pas à en demander une autre.

En entendant ce qu’elle lui disait, le jeune homme voulut lui demander pourquoi elle avait parlé de « sauter » tout en disant les probabilités d’une mort douloureuse… si ce n’était pour l’y inciter? Mais il n’en eut pas l’occasion, car elle enchaîna sur la futilité de son cerveau, car elle était physicienne. Il voulut répliquer quelque chose d’un ton hargneux pour lui rappeler qu’elle ne lui avait jamais parlé de sa profession, outre l’astronomie, mais finit par laisser tomber et ne dit rien. À la place, il regarda encore le sol et se concentra sur la bourrasque qui fouettait ses cheveux. *Calme-toi…* Il ferma les yeux et inspira, puis expira longuement, comme s’il soufflait la fumée d’une cigarette.

Rouvrant les yeux, il poussa sur le garde-fou et se propulsa ainsi vers l’arrière, sans crier gare… Une petite lueur de lucidité s’était pointée : il devait quitter cet endroit au plus vite : cette femme le rendait fou! Il se précipita presque vers les sièges pour y ramasser la bouteille de whisky, en ayant pour but de filer par les escaliers, mais quelque chose le retint. Une question. Cinq mots. Et son sang ne fit qu’un tour… Il avait parlé de l’UDPH? Merde et re-merde!

Il s’arrêta net, les yeux écarquillés, s’assit et resta ainsi encore quelques secondes. Ne faisant aucun lien entre son état d’esprit et la quantité d’alcool dans son corps, il en reprit une bonne gorgée, si grosse qu’il sentit un brûlement d’estomac quand il l’avala et qu’il s’étouffa un peu. Finalement, il reporta son attention sur la scientifique et ouvrit la bouche :

« T’avais reçu un appel d’eux au Castel Park. Ça semblait être tes patrons : c’était écrit Bureau. Pis c’tait une urgence de travail, que tu m’as dit.»  Il hésita encore à ajouter quelque chose sur les fameux mots emmener et laboratoire, qui l’avaient tant mis mal à l’aise et qui étaient restés dans ses pensées depuis, mais se retint. S’il montrait encore plus de suspicion à l’égard de Raphaëlle, elle-même deviendrait définitivement suspicieuse à son tour… Après tout, même si elle travaillait pour l’UDPH, même si elle avait déjà découvert des choses sur lui et sa vie clandestine, il n’allait tout de même pas lui donner des munitions en lui dévoilant qu’il en déduisait et savait plus qu’il ne devait.

Il se rongeait encore la peau des doigts, de plus en plus anxieux. Pour se décontracter, il but encore une gorgée d’alcool, plus petite que la précédente. En fermant les yeux, il pouvait sentir que son cerveau devenait étourdi par l’ivresse. Le bout de ses doigts picotait Le vent se levait; des nuages emplissaient le ciel. Un frisson parcourut le jeune homme. Dans un dernier regard vers le firmament, Robin put voir une étoile filante, juste avant que cette zone soit recouverte d’épais nuages. Se laissant aller à la superstition, il souhaita de pouvoir partir sain et sauf et que ses frères et sœurs d’armes n’aient aucun démêlé avec les Forces de l’Ordre.

C'est avec surprise que Raphaëlle regarda Robin, qui fuyait presque. Il se jeta sur la bouteille pour la rependre et se stoppa net quand elle parla de l'UDHP. Quand il lui répondit, elle hocha la tête d'un air entendu. Décidément ce gamin était un fin observateur. Elle se souvenait qu'elle avait mis le logo de l'UDPH en guise de photo de profil dans le répertoire. Il avait dû le reconnaître. C'est que malgré sa schizophrénie il semblait avoir une bonne conscience de ce qui l'entourait... enfin quand il n'était pas dans un état aussi lamentable que celui qu'il présentait pour le moment.

La rouquine se dit qu'elle devrait peut-être appeler les urgences psychiatriques. Mais si elle faisait ça, il avait de forte chance pour que la paranoïa du petit Robin, se fasse plus dure encore. Il fallait mieux qu'elle n'agisse pas. Il ressemblait à un animal sauvage prit au piège, tenant sa bouteille avec détermination...

« Robin... tu devrais peut-être prendre tes psychotropes... Tu ne penses pas ? »

(Hj: désolée c'est mauvais )

[HJ : Pas de soucis. ^^]

C’est la voix de Raphaëlle qui sortit de nouveau Robin de ses pensées. Sa voix lui semblait si lointaine, comme faisant partie d’un autre espace-temps. Prendre ses psychotropes? Et pourquoi faire? Il n’en avait pas besoin! … Non?

Sa tête lourde, engourdie et étourdie alla se poser au creux de ses mains. S’il ne se retenait pas, il pourrait finir par tomber de son siège et s’assommer le ciboulot. C’est qu’il y avait longtemps qu’il avait bu autant, ce jeune homme, et que la constitution de son corps ne le lui permettait pas… du moins pas sans être ivre mort. Mais, à cet instant, c’est à peine s’il en avait conscience. L’alcool était redevenu un échappatoire ce soir. Il l’avait pris comme une bouée qui passait par là et lui permettrait de voguer loin de ses soucis quotidiens; et il s’y accrochait encore pour fuir ses névroses. L’air se levait et lui fouettait les cheveux. Quelque part sur son crâne, il sentit une goutte se poser. S’en fichant totalement, il reprit une gorgée du liquide éthylique, puis sa voix s’éleva, pâteuse et décalée :

« Pas b’soin de penser pour prendre ces satanées pilules. »

Il avait dit cela sans regarder son interlocutrice, le regard dans le vide, fixant le sol où quelques gouttelettes se posaient et laissaient de petites traces. Il en reçut encore une sur le front, puis sur l’oreille. Seconde lampée de whisky, puis il enfonça la main dans la poche de son pantalon pour en sortir son pot de cachets, le regarda longuement et sentit l’envie viscérale de le lancer de toutes ses forces, le plus loin possible. Puis, il eut envie de vider le contenu du pot dans la bouteille d’alcool toujours ouverte. Finalement, il associa les deux dans sa tête… Merde et re-merde.

« Pis j’peux pas. », ajouta-t-il, cette fois en direction de la physicienne, en levant sa bouteille. « Pis t’en qu’à ça… aussi ben la vider. Tu veux m’aider? »

Robin ne sentait plus l’appel de la fuite. Discuter de choses lucides et de ses psychotropes l’avait fait reconnecter avec la réalité. L’air frais qui se levait, la pluie qui commençait à tomber et l’étoile filante qu’il avait vue avaient fini de le calmer, du moins en surface. Les éclairs étaient finis, mais le tonnerre grondait toujours. Malgré tout, il n’avait toujours pas pris conscience de l’état psychotique qui l’avait envahi. Il avait seulement l’impression qu’un orage était passé.

Pas besoin de penser pour prendre ses pilules ? Raphaëlle fronça les sourcils avec un air sérieux. C'est plutôt parce qu'il pensait trop qu'il devait les prendre ! Elle restait immobiles comprenant soudain que la situation lui avait échappée depuis un moment déjà. Son manque d'empathie ne lui avait pas permis de voir à quel point la tournure des événements avaient changé. Plus l'alcool qui anesthésiait quand même un peu ses liaisons neuronales... Elle essaya de se reprendre un peu. Bien qu'elle n'ait pas vraiment de compassion pour lui, elle n'avait pas envie de le voir faire une crise démentielle. Elle écrasa sa cigarette contre la rambarde et glissa son mégot dans son paquet. Le cendrier était un peu loin d'elle et trop proche du jeune homme. Elle ne voulait pas saloper coin de son paradis céleste...

Raphaëlle sentit quelques gouttes de pluie sur son front. Il ne manquait plus que ça tien ! La météo avait prédit un ciel dégagé. Elle qui pensait voir Vénus... Non seulement l'état de son invitait compromettait le spectacle, mais le temps réduisait à néant son espoir. Elle secoua la tête en essayant de chasser ses idées perturbatrices et égoïstes qui germaient dans son esprit. Il fallait qu'elle agisse. Elle ne pouvait pas rester à rien faire. Elle devait faire preuve de douceur... comme elle savait si bien le faire parfois. Le gamin en fasse d'elle était un peu comme un animal sauvage. Et elle n'avait pas de mal à les apprivoiser en temps normal.

Il paniquait à moitié. Elle réalisa à son tour, quand il lui dit qu'il ne pouvait pas prendre ses psychotropes, la dangerosité s'il le faisait maintenant. Ce qui était un bon point, car il venait de le réaliser de lui-même. Quand il lui demanda de l'aide pour vider la bouteille elle hocha la tête. Ce qu'il ignorait c'est qu'elle prenait les termes aux sens même où il était donné. Elle posa se qu'elle avait en main et chercha à capter son regard avec ses yeux bleus.

« Bien. Je vais t'aider. Pour cela il faut que je m'approche de toi... tu en aies conscient ? » dit elle avec une douceur qu'il ne lui connaissait pas encore...

Après sa question, la jeune homme s’était enfilé une autre rasade pendant que son estomac lui lançait un SOS. S’il continuait, il serait malade, c’était aussi clair que la pluie qui s’annonçait. Le vent se levait et Robin sentit enfin la brise. La chair de poule l’envahit en même temps qu’un frisson lui parcourut l’échine.

En se tournant de nouveau vers la scientifique, il fut désarçonné par son regard, un regard… intense et pénétrant. Et sa voix, cette voix douce qui traversait les bourrasques pour se rendre à ses tympans… C’était définitivement étrange, même si elle ne réussit pas tellement à le calmer. Il y avait surtout les paroles qu’elle avait dites.

« Haha! Bien sûr, qu’j’en ai conscience. Approch’, aies pas peur, v’yons. », lança-t-il, de sa voix de plus en plus maladroite.

En effet, la psychose de Robin s’étant calmée un peu, il n’avait plus particulièrement peur de Raphaëlle. Il restait méfiant, soit, mais la promiscuité entre eux n’avait presque jamais été un enjeu à ses yeux, et cela lui semblait étrange qu’elle lui parle ainsi… l’avait-il donc si effrayée?

[HJ : À mon tour d’écrire un RP plutôt bof… satané rhume. T_T’’]

Raphaëlle parlait d'une voie calme et posée. Elle savait s'y faire avec les animaux sauvages, avec les cobayes récalcitrants et même avec certaines personnes atteintes de psychose. Elle était consciente de la douceur dont elle devait preuve. Elle ne devait pas brusquer les choses, faire de vagues ni de remous ! Elle devait être sur ses gardes. Le moindre faux pas pouvait faire basculer la situation dans une bien mauvaise tournure. Entre son état de santé mental et son taux d'alcoolémie très élevé, la scientifique savait Robin complètement imprévisible. Elle devait rester très prudente.

Avec une lenteur calculée, elle se rapprocha de lui. Elle observait le moindre de ses mouvements. Dès qu'elle fut assez près de lui, elle s'accroupie à son niveau, pour ne pas le dominer. Elle tendit sa main avec prudence vers la bouteille et l'ouvrit pour qu'il la lui donne de lui-même, comme il faut faire avec un animal apeuré. Elle chercha son regard avec ses pupilles bleu-acier. On lui avait souvent dire que cette couleur si claire avait le don d'en apaiser plus d'un. Elle ne s'était jamais rendu compte de cela. Et pourtant. Son ancien patron, son ami d'enfance, son médecin et d'autre avant eux, avaient été subjugués par ce qu'elle émettait.

On dit que les yeux sont le reflet de l'âme. Celle de la rouquine était en souffrance depuis qu'elle avait subi cet attaque. On pouvait y lire une profonde mélancolie, un mal-être vicieux, qui s'attachait à elle telle une sangsue dans les marais les plus exotiques. Avec le temps, elle avait fait de choix, mais cela n'avait pas changé sa nature profonde. Elle avait beau être une scientifique de l'UDPH, elle restait une végétarienne, incapable de tuer un animal. Elle n'avait pas d'empathie pour les autres... parce qu'elle peinait déjà à faire le trie de ses propres émotions. Malgré tout, cela ne l'empêchait pas de ne pas être une sadique. Non ! Elle ne prenait pas de plaisir dans la souffrance des autres et cela n'arriverait jamais.

« Robin, accepte tu de me donner la bouteille ? »

[HJ: Un mois, jour pour jour, l'inspiration m'est revenue. x) Désolée encore du délai!]

Robin regarda Raphaëlle s’approcher lentement… très lentement. Si lentement que le temps sembla s’arrêter et que Robin n’osa même plus faire de bruit en respirant. Il faudra que Raphaëlle s’accroupisse pour qu’il reprenne un souffle naturel. Il observa un moment la main qui se tendait devant lui, qui l’incitait à lui faire confiance et à lui donner la bouteille. Un peu par réflexe, il la tint plus fermement et eut un petit mouvement pour la rapprocher de lui. Le silence planait, lourd et chargé. Seules quelques gouttes de pluie venaient y changer quelque chose.

Puis, le jeune homme croisa le regard de la rouquine. Et c’était comme s’il plongeait au plus profond de lui-même, de ses angoisses, de son mal de vivre. La mélancolie qui s’en dégageait lui était familière et il dut fermer les yeux pour éviter d’y entrer trop profondément. Il secoua vigoureusement la tête et soupira bruyamment. Avant qu’il n’est pu apporter de nouveau la bouteille à ses lèvres, la douce voix de Raphaëlle se fraya un chemin jusqu’à ses oreilles et l’arrêta net. Lui donner la bouteille? En l’instant précis, il regrettait de lui avoir demandé de l’aider à la vider… il voulait de nouveau boire jusqu’à en perdre conscience… un coma éthylique lui semblait soudainement comme la meilleure option au monde.

Mais il n’avait pas totalement perdu conscience et il finit par déplier le bras machinalement, sans même ouvrir les yeux, comme si son corps lui-même décidait à sa place. Il sentit la bouteille quitter ses doigts fins. Une fois les mains vides, ne sachant qu’en faire, il les apporta à sa tête et plia son corps vers l’avant jusqu’à avoir la tête sur les genoux. Il sentit des gouttes d’eau dans sa nuque. Il avait hâte que la pluie s’abatte sur eux.

« Dis, Raph… est-ce qu’ça t’arriv’ d’en avoir marre de chez marre? », lâcha-t-il d’une voix lente et rauque avant de relever la tête pour voir la réaction de son interlocutrice. « D’vouloir en finir? Pour de bon? » Il tourna sa tête pour avoir une vision panoramique de la ville avant d’ajouter : « Des fois, j’me d’mande… »… mais il laissa sa phrase en suspens.

Tout n'était que lenteur. Tout n'était que douceur. Raphaëlle, le ressort montée sur batterie, incapable de rester à rien faire plus de cinq secondes au calme, était désormais l'image même de l'apaisement. Elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour l'apprivoiser. Elle ne voulait pas le brusquer aux risques qu'il reparte encore plus fort dans un délire paranoïaque où il pourrait se faire du mal. Elle n'avait pas peur pour elle, d'ailleurs, elle n'avait jamais peur pour elle ! Elle n'avait pas assez conscience du danger pour s'en méfier. Elle craignait qu'il se blesse.

Robin se crispa d'abord sur la bouteille quand elle avait tendu sa main vers lui. Elle ne broncha pas. Il fallait qu'elle reste d'un calme impassible. Leurs regards se croisèrent et comme s'il était coutumier du fait, celui de la rouquine fraya son chemin dans la conscience du jeune homme. Il ferma les yeux. Ignorant qu'il lisait son mal-être profondément en fuit, que cela le mettait mal à l'aise. Mais comme il finit par lui donner la bouteille, elle ne chercha pas à comprendre davantage. Elle referma ses doigts sur le goulot puis, elle la reversa.

Le précieux liquide ambré se déversa sur le sol du toit. Un ruisseau de whisky coula vers une rigole, pour finir sa course folle dans la gouttière, se mêlant petit à petit aux gouttelettes de pluie. Raphaëlle posa la bouteille et la laissa rouler à l'autre bout de la terrasse, pendant que Robin se mettait en position fœtal. Elle ne voulait pas qu'il puisse penser qu'elle voulait l'utiliser comme arme ou quoi que ce soit du genre. Elle le regarda quelques secondes avant de s'asseoir à même le sol et de s'adosser contre le mur. Elle tendit ses jambes. La pluie caressait son visage. Même si un torrent se déversait, elle ne bougerait pas, pas tout de suite... Elle était bien ici, puis elle se sentait tout de même... mélancolique... ou triste. Comme si son état naturel avais repris le dessus. Elle hocha la tête à la question du jeune homme.

« Je ne sais pas qui est Marre... et je ne suis jamais allée chez lui... mais... »

Elle laissa un blanc...

« Si, tu savais comme je déteste la vie... ce monde... A quel point j'ai en horreur d'être obligée chaque jour d'en supporter un nouveau ! »

Avec des trémolos dans la voix, elle se tue quelques secondes, retenant ses larmes. Elle n'avait pas envie de s'effondrer. Elle n'avait plus envie de vivre depuis des années... même si elle avait désormais trouvé un équilibre, elle avait quand même envie de partir... Loin de son existence. Dans uns sommeil sans rêve et surtout sans cauchemars... Mais, elle avait fait une promesse. Et Raphaëlle ne mentait pas, elle ne mentait jamais. Sa parole valait bien plus qu'un papier juridique de déclaration sur l'honneur.

« … Mais j'ai promis Robin... j'ai promis de ne plus recommencer ! Alors, je suis coincée ici, en attendant que quelque chose me tue... Je passe le temps... J'essaye de vivre... Mais je n'aime pas la vie... »

Un nouveau blanc...

« Et toi ? »

Robin ne put retenir un petit sourire en coin de s’immiscer sur ses commissures quand il entendit la candeur avec laquelle Raphaëlle prenait vraiment tout au pied de la lettre… du moins, au sens propre, factuel. Pendant un millième de seconde, il eut envie de répondre une absurdité sur qui donc était Marre, mais il finit par abandonner et concentra plutôt son attention sur ce que disait son interlocutrice. Quand elle reprit la parole, le jeune homme releva la tête, les yeux grands ouverts. Ainsi, il avait vu et senti juste.

« Et moi? »

Un rideau de pluie s’abattit sur la Ville, mettant définitivement fin au spectacle enchanté qu’offrait le firmament. Pour Robin, ce déluge arriva comme une libération. Il leva son visage vers le ciel pour accueillir cette eau rafraîchissante avant de répondre simplement : « Moi aussi. » En quelques secondes à peine, il était complètement trempé et, rapidement, l’eau qu’il avait trouvée fraîche lui paraissait désormais glacée. Mais il ne bougea pas, préférant devenir transi jusqu’aux os… peut-être serait-ce son coup de mort? Le choc thermique lui donna un haut-le-cœur, mais il ne vomit pas.

Il reprit la parole, se tournant vers l’astronome : « À la seule diff’rence que j’ai rien promis. » Un sourire triste se dessina sur ses lèvres… En effet, rien ne le retenait réellement dans la vie, sauf quelques personnes. Parfois, il arrivait même à réellement apprécier sa journée, du moins des moments de ses journées. Ce devait être cela qui l’empêchait d’en finir. Et il y avait Lucy, ce petit ange qui lui redonnait parfois le goût de vivre, du moins l’espoir que ce monde n’était pas complètement insipide, gangréné, en lambeaux. Ses activités illégales lui donnaient des sensations fortes, mais elles n’étaient rien pour rendre son moral au meilleur, car, plus souvent qu’autrement, il apprenait des vérités choquantes et désolantes.

En pensant à tout cela, Robin tendit la main, comme par réflexe, vers une bouteille invisible, oubliant momentanément que sa propre bouteille avait été vidée sur le toit et était maintenant loin d’eux. Ses doigts se refermèrent dans le vide et le jeune homme lâcha un soupir de contrariété en ramenant son bras autour de ses genoux. Il posa tour à tour ses yeux sur Raphaëlle, puis sur les immeubles dont le toit était visible. Étourdi, il se dit qu’il voudrait bien aller se coucher, pour retrouver un sommeil libérateur, sa propre zone d’oubli…