[PV Krim] La joie n'est pas communicative quand elle est bruyante

C’était une belle nuit d’été. Tous ceux qui avaient un balcon s’y trouvaient, les autres faisaient la fête comme ils pouvaient. L’alcool coulait à flot; les rires et les cris s’élevaient de plus en plus fort. La frénésie semblait s’être emparée de tout Ténébris, ou du moins, du Quartier Populaire. Bientôt, elle laisserait place à des traces de vomi et des ecchymoses.

Les raisons de fêter tout le monde ensemble étaient plutôt rares dans ce coin dépravé de la ville. La fête nationale devenait rapidement le prétexte idéal pour une beuverie et personne n’y semblait trouver à redire… sauf peut-être quelques personnes qui n’y voyait pas là une raison de se réjouir. Pour certains réfractaires l’année dernière en avait été, lors de l’explosion d’une bombe dans la mairie… mais c’est une autre histoire.

Robin aurait pu se joindre à ses camarades dans leur squat, mais il avait particulièrement envie de solitude en cette soirée sans étoiles. Sa conversation avec Lucie s’était terminée depuis une trentaine de minutes, car elle devait se coucher. En âme bienveillante, elle avait rappelé au jeune schizophrène de prendre ses pilules, ce qu’il fit, non sans douter de son geste. Cela lui permit sans doute d’éviter une crise que l’excès de bruit lui aurait causée. Il s’était ouvert deux bières en deux heures, mais n’avait pas envie de se joindre davantage à l’ivresse générale.

Il tenta de dormir, mais son insomnie habituelle n’était qu’empirée par les fêtards et il regardait passer les heures en maudissant ses voisins. Finalement à 1h56, il se leva d’un bond, prit une veste, ses écouteurs, son violon et son archet, puis sortit sans plus attendre, n’y tenant plus. Il descendit quatre à quatre les cinq étages le séparant du sol, voulant s’éloigner le plus vite possible de ces démonstrations de joie trop sonores. Il marcha le plus loin possible, courant presque, jusqu’à arriver dans un terrain vague séparant le Bidon Ville  et la Déchetterie du reste du Quartier Populaire, juste avant le pont mitoyen… Enfin la tranquillité, le calme.

Puis, il commença à jouer. Il joua fort, comme s’il était en plein concert, entamant les Quatre Saisons de Vivaldi et imaginant les autres violons. Il joua ainsi pour lui-même, pour l’herbe qui pliait au vent et pour les étoiles qu’on voyait de nouveau veiller. Peut-être aussi pour cette chauve-souris qu’il avait cru voir passer. D’ailleurs, étant trop absorbé dans ce qu’il jouait, il ne remarqua aucunement l’arrivée d’une autre personne, d’autant plus sans savoir que les mythes l’associaient à cette petite bête qu’il avait vue précédemment.

C'était une douce nuit d'été comme Krimhilde les préférait. La température n’excédait pas les vingt degrés et une légère brise soufflait, venant rafraîchir et adoucir l'atmosphère, ce qui lui permit de se vêtir d'un pull léger toujours trop grand pour elle, troué et déchiré sur les manches. Ainsi, le doux vent venait la frôler et la faire frissonner. Le seul bémol de cette nuit, et pas des moindres, était l'agitation de la ville à l'occasion de la fête nationale.

La jeune fille avait été tirée hors de son sommeil diurne prématurément à cause des festivités entamées trop tôt à son goût. De toutes façons, elle détestait la fête; elle était synonyme de bruit et venait troubler le calme de son univers personnel. C'est pour cela qu'elle avait décidé de la fuir le plus possible, après avoir tenté de la supporter une petite dizaine de minutes. Krimhilde avait saisit sa canne et s'était assurée qu'elle avait bien sa flûte en main, s'était dirigée vers le meuble délabré sur lequel était posé le bocal de chance, l'avait nourrie et enfin, s'était échappée de son taudis en quête d'un endroit isolé du brouhaha urbain.

La noctambule au teint pâle déambula des heures dans toute la ville, le dos courbé et la mine horrifiée, sursautant occasionnellement lorsqu'un ivrogne criait trop soudainement et trop fort. Elle était presque résignée quand elle distingua dans la masse sonore un violon. Son visage s'illumina alors, plein d'espoir. Elle s'empressa alors d'aller vers la mélodie comme un papillon vers la lumière. Dans sa quête, elle était passée sous le pont. Le bruit de la canne frappant le sol dispersa alors un groupe de chauve-souris. Une d'entre elle s'envola en direction du terrain vague comme pour servir de guide, en vain.

Arriva le moment où la ville et le bruit qui allait avec furent réduits à l'arrière plan sonore alors que Krim était obnubilée par l'air du violon, jouant à la perfection et virtuosité l'Hiver devant cette fille dont l'âme appartenait au Nord. Elle s’enivra alors de cette harmonie solitaire, ne bougeant pas d'un iota comme pour laisser la musique la transcender. Elle rêvait éveillée.

A la fin de son récital, le jeune homme pouvait percevoir les applaudissements timides d'une fille à l'apparence spectrale, vaguement assise par terre à une trentaine de mètres de lui.

Robin joua ainsi sans se lasser pendant la cinquantaine de minutes que durait le récital, les yeux fermés, totalement enivré par la mélodie sortant de son instrument. Il était maître d’orchestre et artiste à la fois. Les particules de l’air répondaient aux vibrations qu’il envoyait dans l’atmosphère. Puis, vint la dernière note, celle qu’on voudrait qui s’éternise, mais dans laquelle réside toute l’émotion à transmettre. Si elle est ratée, un goût amer persiste chez le musicien. Et cette note finale fut arrêtée abruptement quand le jeune homme perçu un applaudissement non loin de lui au travers sa musique.

Il joua une fausse note et la magie fut rompue. Il rouvrit les yeux et distingua une silhouette illuminée par les étoiles, assise dans l’herbe… Il était donc impossible d’être seul, que diable?! Par contre, cette intrus(e) ne semblait pas vouloir s’immiscer plus que nécessaire… heureusement. Ne sachant où se mettre, le violoniste décida de faire ce qui se doit devant un public, et il fit une révérence, mit une deuxième plus timide. Mal à l’aise, il était raide, tenant son violon de la main gauche et son archet de l’autre.

Finalement, il décida de s’approcher, pout voir plus clairement les traits de ce spectateur. Cette personne ne semblait pas le regarder, ce qu’il trouva étrange. Puis, quand il fut suffisamment près pour discerner quelque chose, il remarqua que ses yeux étaient vides, ne semblait regarder nulle part, puis il remarqua la canne et la flûte dans les mains de la demoiselle. Prenant la musique comme perche, il dit en s’asseyant face à Krimhilde : «J’aimerais vous entendre jouer à votre tour.»

Pas de salutations ni rien de ce genre. Il préférait passer outre les formalités et, surtout, le handicap physique, voulant lui parler normalement. Malgré tout, se sachant pas observé, il se permit de détailler la jeune vampire. Son teint pâle lui fit penser à un cadavre et il eut presque peur. Mais il resta là. Une autre musicienne fuyant la fête nationale ne pouvait être qu’intéressante.

Krimhilde resta immobile quelques instants après que le jeune homme ne se fût adressé à elle. Puis, sans un mot, elle rapprocha une extrémité de son instrument du bout de ses lèvres et plaça le bout de ses doigts sur les clés, mais le reste de sa main restait caché dans sa manche. Elle posa quelques notes, presque inaudibles, même pour le jeune homme qui était maintenant à quelques petits mètres d'elle. Après cela, elle tira légèrement sur une pièce pour rendre toute sa justesse au morceau d'argent patiné.

C'est alors que ses paupières se rejoignirent pour éclipser ses yeux clairs. Le son se mit alors a émaner de la flûte. D'abord très faiblement, puis de plus en plus fort et assuré. On pouvait alors reconnaître l'Aram Khachaturian. S'en suivirent 30 minutes durant lesquelles la jeune vampire bougeait ses doigts à une vitesse phénoménale et avec une aisance que n'importe quel joueur aurait pu envier. Elle était toujours assise en tailleur, mais on pouvait remarquer qu'elle projetait toute son âme torturée dans sa musique, prenant d'immenses respirations pour jouer parfois presque une minute avant la prochaine.

A la fin de son récital, Krimhilde resta une dizaine de seconde en position de jeu en retenant son souffle, sans un bruit, savourant ces derniers instants dans un silence absolu. Puis, elle expira timidement, en baissant sa flûte. Elle lâcha tout aussi timidement un mot, une conclusion malhabile.

"Voilà."

A la suite de ses mots, la musicienne baissa la tête en rougissant de gêne. On entendait au loin les chauves-souris crier et la ramener à la réalité.

Pour Robin, qui n’avait jamais particulièrement apprécié la flûte, ce fut une drôle de sensation que de se laisser envoûter ainsi en fermant les yeux. La virtuosité de la flûtiste y était sans nul doute pour quelque chose, sans compter qu’il reconnaissait la fougue dramatique du compositeur pour avoir déjà interprété son Concert pour violons en D mineur.

Le jeune homme se permit de continuer à observer l’aveugle pendant son récital. Il voulait saisir chaque mouvement de ses doigts habiles, mais ceux-ci faisaient preuve d’une trop rapide dextérité. Ses cheveux roux étaient tout aussi flamboyants que sa peau sous le croissant de Lune. Les trous dans son vêtement trop ample laissaient deviner une silhouette plutôt frêle. Soudainement, il se surprit à se demander ce qu’une aveugle de cet acabit faisait dans les parages en plein cœur de la nuit. Se laisser absorber par le tragique du morceau de flûte, il s’imagina des scènes rocambolesques où elle fuyait un groupe de saoulons, des chauves-souris, puis où elle chevauchait des dragons cracheurs de flûtes.

Finalement, le récital s’arrêta beaucoup plus doucement que le sien. Un moment d’accalmie s’en suivit, où ni l’une ni l’autre ne dirent mot. Puis, un seul sortit de la bouche de Krim et c’était suffisant. Robin aimait déjà cette rareté de paroles.

«C’est beau. Excellent, même. Tu joues depuis longtemps?»

Eh oui, Robin passait ainsi du vouvoiement au tutoiement sans problème. L’un comme l’autre pouvaient être une marque de respect. Tout dépendait de la situation. Auparavant, cette demoiselle était une pure inconnue et il s’était adressé à elle ainsi. Cependant, ce partage silencieux, mais musical avait amoindri la distance qui les séparait. Il se rendit compte que jouer avec autrui lui manquait vraiment.

[HJ: En passant, je te conseille le film «Dans les villes» pour t'imprégner des actions d'un aveugle. En plus, il est très bon. Si t'arrives à le dénicher quelque part, saute dessus. ]

Tout un tas d'émotions se mélangeaient dans la tête de Krimhilde, elle qui avait depuis longtemps perdu l'habitude d'avoir un semblant de discussion avec quelqu'un d'autre qu'elle-même. Il lui fallu quelques secondes pour réorganiser ses idées avant de répondre à l'aide de phrases réduites au possible. Elle parlait d'une voix douce et très faible, comme si elle ne voulait déranger personne.

"Onze ans."

Quelques larmes vinrent alors apparaître au coin de ses grands yeux d'un bleu clair mais sans profondeur pour couler doucement le long de ses joues plus pâles encore que ses yeux. La jeune fille n'avait pas pleuré depuis très longtemps, mais cette question lui rappela cruellement la perte de sa tutrice il y maintenant un peu plus d'un an. Or, elle sentait la gêne s'installer et elle ne voulait surtout pas gâcher ce moment tout particulier et agréable dans sa vie de solitude ; elle savait pertinemment que le jour n'allait pas tarder à se lever, et qu'elle ne savait même pas où elle se trouvait, mais cela importait peu tant qu'elle était là, avec ce parfait inconnu dont elle se sentait pourtant très proche. C'est pour cela qu'elle raviva la conversation avec une question dont la réponse n'avait pas de réelle importance .

"Comment tu t'appelles ? "

Elle serrait contre elle en même temps sa flûte, sur laquelle les larmes venaient s'écraser tout en captant le délicat reflet argenté de la Lune sur son instrument.

Robin laissa Krimhilde remettre ses idées en place. Il n’était pas pressé et n’avait aucune idée que le lever du jour pouvait être mortel pour cette jeune aveugle… Et ce fameux soleil pointerait ses rayons dans 30 minutes à une heure. Du moins, commencerait-il.

Mais voilà, le jeune homme, insouciant, profitait de ce moment de calme et humait l’air frais qui balançait les brins d’herbe en tous sens. Puis, la jeune adulte ouvrit la bouche et laissa sortir deux mots timidement. Le violoniste fut surpris par la douceur de sa voix, comme si elle n’était pas certainement de vouloir être entendue. Finalement, il fut totalement décontenancé quand des larmes se frayèrent un chemin sur ses joues… Elle était si fragile.

«Wow…c’est… beaucoup.», murmura-t-il, alors qu’il jouait du violon, lui, depuis seize ans.

Robin, qui n’avait jamais su s’occuper que de lui-même, et encore, ne pouvait concevoir comment agir en pareille circonstance. Il était carrément désadapté et s’en rendait pleinement compte à cet instant précis où il voulait réconforter cette jeune inconnue, mais ne voulait pas la prendre en pitié… Après tout, il ignorait totalement ce qui pouvait la rendre triste à ce point. Un silence s’installa pendant lesquelles il pensa plusieurs fois à la prendre dans ses bras, sans pouvoir se mettre en action. Puis, la jeune vampire finit par briser ce moment de malaise et le thanatologue fut presque soulagé d’entendre une phrase si pré-faite. Sa voix à lui se fit également douce.

«Robin… et toi?»

Elle serrait si fort sa flûte, comme une bouée. Cet instrument devait avoir une signification particulière pour elle… mais quoi? Tant de questions qu’il n’osait poser. Elle était si farouche; il ne voulait pas l’effrayer.

"Krimhilde. C'est le nom qu'on m'a donné. Enchantée Robin."

La noctambule avait pris son temps pour répondre, comme à son habitude. Pendant ce temps, l'agitation était retombée, et le calme avait repris sa place. Soudain, sa réalité la rattrapa; elle sentait le jour se lever, et qui disait jour disait soleil, et qui disait soleil disait poussière. La panique la gagna et les larmes céderent la place à des sueurs froides. Son visage se crispa d'un coup et elle remis sa flûte rapidement dans une de ses manches, le seul étuis qu'elle avait. Elle balaya précipitamment le sol des mains pour retrouver le morceau de bois sombre et abîmé qui lui servait de canne. Krimhilde se leva alors rapidement dans la même précipitation et bafouilla quelques mots à l'attention de Robin, à nouveau toute gênée.

"Je.. Je dois y aller.. "

Puis, elle réalisa qu'elle était perdu, ce qui accentua son inquiétude. Elle se mordait alors nerveusement la lèvre inférieure, laissant apparaître une canine acérée et plus longue que la normale. Une migraine violente, sûrement dû à un stress intense, traversa sa tête à ce moment, l'obligeant à s'accroupir en la prennant entre ses mains. Elle fermait les yeux, en proie à un mal aussi fulgurant que douloureux.

«Enchanté Krimhilde.»

C’est le nom qu’on m’a donné. … À sa naissance ou… plus tard? Décidément, les interrogations se succédaient. Et, une fois de plus, il n’osait en poser aucune. Il n’en eut d’ailleurs pas le temps, car cette fille qui avait fait preuve d’une lenteur inimaginable jusque-là semblait soudainement être dans l’urgence d’agir. Robin la regarda chercher frénétiquement sa canne, mais ne bougea pas d’un iota… Devait-il l’aider? Il n’avait jamais eu affaire à une aveugle auparavant, du moins personnellement et n’arrivait pas à savoir si lui porter secours serait perçu comme poli ou insolent.

Pendant qu’il tergiversait sur ce sujet, la principale intéressée finit par trouver l’objet tant convoité et se leva d’un bond, lui faisant du même coup part de son départ, mais elle n’avança pas pour autant. Au contraire, elle sembla être totalement pétrifiée de panique et se mordit la lèvre inférieure. Le violoniste eut à peine le temps d’apercevoir sa canine proéminente que la rouquine s’effondrait, en proie à une violente migraine. À ce moment, Robin n’eut aucune hésitation et agit même instinctivement en se précipitant vers elle pour la retenir. Bien qu’il ne connaissait pas les perceptions des aveugles, il savait au moins une chose : elle devait être totalement perdue dans ce terrain vague. Ainsi, lui proposa-t-il : «Veux-tu que je t’accompagnes un peu?»

Le thanatologue, qui n’avait pas pour habitude d’être particulièrement compatissant, sentait monter en lui un désir de protection pour cette demoiselle sans défense. Et il eut une pensée pour Lucie, se demandant ce qu’elle en penserait, mais la chassa bien vite de son esprit. Il aida donc Krimhilde à se relever de son  mieux.

«Où dois-tu aller?»

En même temps, il devait s’avouer être intrigué. Une petite dent si pointue ne pouvait être normale. Et l’attitude de cette aveugle ne pouvait l’être entièrement non plus.

La soudaine intervention de Robin pour lui porter secours la toucha énormément et sa migraine s'apaisa quelques instants après. La présence du jeune homme l'appaisait à présent. Elle se redressa alors doucement en rougissant un peu, gênée de la soudaine proximité qui réunissait les deux individus. Elle répondit alors à ces questions une fois remise de ses maux. Comme à chaque fois, sa voix était douce et de faible intensité, or cette fois-ci, l'espèce de tension timide n'était plus présente.

"Je dois retourner au bidonville.. avant que le soleil ne se lève. Et ça me ferait très plaisir que tu..m'accompagnes. "

L'aveugle était toujours perdue dans le terrain vague, alors elle se cramponna au bras du violoniste pour se faire guider.. aveuglément. Elle saisit également sa main, timidement. Elle avait appris à capter le pouls de quelqu'un et connaître son état d'esprit. Celui de Robin était assez élevé, trahissant une certaine tension, et Krimhilde pouvait sentir que quelque chose le taraudait. Elle enchaîna alors, s'adressant à lui sans le regarder, la tête baissée.

"Quelque chose ne va pas..? On dirait que tu n'oses pas me le dire.. "

La chaleur du jour imminent empiétait de plus en plus sur la fraîcheur nocturne. Naturellement, sa panique repris le pas. La rouquine se serra alors contre le jeune homme comme pour lui signifier qu'il fallait se dépêcher.

Quand Krimhilde lui prit la main, il la serra fort, comme pour lui montrer son soutien, mais toucha une peau froide comme celle des cadavres qu'il embaumait chaque semaine et serra même plus fort. Était-elle donc si mal en point? Son rythme cardiaque s'accéléra davantage. Elle semblait totalement perdue et la raccompagner, au moins jusqu’au pont, serait déjà une bonne chose. Sa voix paraissait également moins timide qu’au début, mais elle gardait cette douceur qui pourrait calmer les esprits le plus échauffés. Jamais il n’aurait cru qu’elle puisse être considérée comme dangereuse… ni qu’elle percevrait ses émotions par son pouls. Lisait-elle les pensées ou quoi?

«Beaucoup de choses sont passées sous silence…», marmonna-t-il, d’une voix qui en disait long. Les mensonges étaient malheureusement trop courants en ce bas monde et il restait encore tant de mystères étatiques à découvrir, mettre en lumière et dévoiler au grand jour… Mais ses concitoyens seraient-ils capables d’accepter la vérité, eux qui étaient si longtemps restés dans leur caverne d’ombres?

Puis, Robin eut une pensée pour cette voisine croisée fortuitement au Castel Park… Elle avait fait preuve d’une franchise le désarçonnant et le jeune mélomane s’était juré de suivre son exemple. Ça s’avérait quand même plus difficile à faire qu’à se promettre. Ainsi, prit-il son courage à deux mains et demanda : «Est-ce que je peux voir tes dents?»

Mais la jeune aveugle sembla de nouveau être prise de panique, voulant urgemment rentrer chez elle, comme si sa vie en dépendait. Quand la rouquine le serra dans ses bras, son cœur rata un battement. Cette proximité était inhabituelle et Robin apprenait à y prendre plaisir. Ses cheveux sentaient la poussière, comme une odeur de vieux livre qui en aurait long à raconter, et cela lui plut. Néanmoins, leur étreinte prit fin assez rapidement, car il ne voulait pas que cette fragile demoiselle parte en fuyant un mal inconnu. Il entama donc leur marche en disant : «Le pont menant au Bidon Ville est sur notre droite, à environ trente mètres.»

La jeune vampire ne savait pas trop si montrer sa dentition et ainsi ses crocs acérés était une bonne idée. Elle n'avait aucune idée de ce que Robin savait des créatures, et même s'il n'en était pas une lui-même. Or, il avait été si gentil avec elle que la rouquine ne pouvait pas refuser de lui dévoiler ce qui la rendait différente de lui. Cependant, il fallait qu'ils rentrent impérativement, alors elle serra la main de son jeune guide à son tour mais sans aucune intention de "lire dans ses pensées", et se laissa emporter. Peu avant de partir, elle s'adressa au violoniste avec une certaine appréhension.

"Mes dents.. Je te les montrerai une fois arrivés "

Krimhilde avait peur de sa réaction. Elle doutait qu'il ne puisse avaler un mensonge du genre de la maladie héréditaire, et elle n'avait aucune envie non plus de lui mentir. Alors, une fois leur courte marche jusqu'à l'autre côté du pont terminée, elle se tourna lentement face à lui et afficha un sourire crispé et très artificiel, signe qu'elle n'avait pas l'habitude de le faire. La vampire dévoila alors une dentition presque parfaite, et ses deux canines supérieures plus longues que celles d'un humain lambda. Ces dernières avaient l'air acéré et réduiraient un morceau de chair en charpie sans effort.

"J'ai des.. grandes dents, oui.."

Pour éviter un malaise, elle allait proposer à Robin de passer chez elle, mais elle se ravisa vite, ne voulant pas lui dévoiler sa misère réelle, et appréhendant aussi beaucoup la réaction du jeune homme. Cependant, aurait voulu qu'il marche encore indéfiniment avec elle, sans un mot, juste en captant le simple plaisir d'être avec quelqu'un qui ne la repousse pas; se défaire de cette lourde carapace de solitude.

Heureusement, elle ne repoussait pas l’idée de lui montrer sa bouche… et comme elle voulait retarder ce moment, cela signifiait que ses dents n’étaient pas anodines. Ou était-elle simplement si pressée? Peu importe, Robin continua d’avancer en ligne droite, toujours en précisant la distance qui séparait les deux noctambules et le pont. Il jetait de temps en temps des coups d’œil à Krimhilde, mais regardait droit devant lui la majorité du temps.

Le trajet se fit sans encombre en environ cinq minutes. En effet, seul, le jeune homme aurait parcouru cette distance en deux minutes tout au plus, mais, en guidant quelqu’un d’autre, il se rendit compte qu’il fallait faire sûr que cette dernière ne trébuche pas sur une roche ou une racine cachées dans les herbes.

Finalement, ils arrivèrent au pont et le violoniste décida de l’accompagner jusqu’à l’autre côté. Leurs pas résonnaient contre les parois et les quelques chauves-souris qui restaient eurent tôt fait de s’enfuir avant la tombée du jour. «Voilà, nous y sommes.», dit-il en s’arrêtant à l’entrée du Bidon Ville. Il s’était rarement rendu dans cette partie de la ville et, chaque fois, elle le terrorisait… non pas pour lui-même, mais pour ces hommes et ces femmes qui vivaient dans absolument rien et qui ne pouvaient pas être sûrs que leur maison tiendrait le coup au prochain orage. Au moins, lui avait un toit solide… et des voisins tout aussi bruyants. En effet, quelque part vers la gauche, un cri et des rires se firent entendre, puis plusieurs voix. De jeunes hommes s’amusaient à être désagréables. Robin hocha la tête, désespéré.

Puis, il reporta son attention sur Krimhilde, qui était crispée, mais souriait du mieux qu’elle pouvait. Puis, il la vit à nouveau, cette canine pointue, qui était, cette fois, accompagnée de sa jumelle. Il ne put faire autrement que de se pencher un peu… Incroyable. Avait-elle honte d’une certaine chirurgie esthétique ou était-elle réellement une… Robin se releva et regarda Krimhilde dans les yeux pendant que celle-ci faisait un commentaire sur ses dents. Un silence s’en suivit durant lequel le jeune hacker, immobile, observait sa peau cristalline et sentait toujours cette température glaciale dans sa main. «Des dents de vampire, oui…»

Le cœur de Robin repartait de plus belle. Il n’était pas effrayé, non. Mais cette découverte était déroutante et excitante au possible. Lui qui cherchait des informations sur les indésirables de la Ville depuis des années, il se trouvait vraisemblablement devant une personne qui connaissait le secret.

D’autres cris à leur gauche sortirent le thanatologue de ses pensées… Elle n’était toujours pas rendue chez elle et il se demanda comment elle pouvait se frayer un chemin dans tous ces méandres et parmi tous ces malfrats. «Les gens ne semblent pas commodes dans ton quartier… Veux-tu que je t’accompagnes plus loin encore?» Heureusement pour Robin, il ne travaillait pas ce matin-là et un sommeil bien mérité l’attendrait à son retour… S’il revenait cette nuit.

Le retour au quartier le plus pauvre de la ville, son agitation bruyante et son insalubrité vida Krimhilde d'une partie de la joie dont elle était emplie sans le montrer. Mais hormis cela, le lever du jour était imminent et la petite vampire le savait. Après un court instant, elle décida de s’engouffrer en courant dans le bidonville et ses passages étroits qu'elle connaissait par cœur. Elle tirait Robin par la main; la jeune rouquine ne voulait pas qu'ils ne se quittent sans un au revoir digne de ce nom. Habituée à l'environnement, elle ne réagissait pas quand elle entendait un mari battre sa femme, ou un vieillard crier après une bande de gamins qui lui auraient volé le sac qui contenait le peu de provisions qu'il avait pu s'offrir.

Après quelques minutes de course effrénée , à l'aveugle, dans ces chemins étriqués, la jeune fille s’arrêta devant un petit assemblage de blocs de béton recouvert par quelques plaques de tôle rouillées à l'autre bout du bidonville. Il n'y avait pas de porte, simplement une bâche qui pendait dans une ouverture aussi étroite qu'abrupte. Elle pénétra alors rapidement à l’intérieur, toujours en tenant Robin par la main.

Son chez-elle était constitué d'une seule petite pièce carrée et presque vide. Sur la droite, quand on entre, se trouvait un meuble en bois qui avait subi les ravages du temps sur lequel était posé l'aquarium de Chance, et dans le coin opposé, un matelas également très abimé, posé à même le sol recouvert d'une pellicule de terre. Dans un autre coin, un petit tas de vêtements venait achever l'inventaire exhaustif des lieux.

Juste après avoir retrouvé une sécurité relative, la noctambule s'empressa de saisir la main du violoniste qu'elle tenait avec les deux siennes et commença à le submerger sous un flot de paroles gênées.

"Tu sais, je.. je ne suis pas violente..! Je n'ai jamais chassé d'humains..! Je ne vais pas te faire de mal..!"

Elle rougit comme si cela avait été une honte et pria pour qu'il ne veuille pas s'en aller immédiatement.

Robin n’eut d’autre réponse à sa question que le bras de Krimhilde qui le tirait, lui intimant de la suivre sans faire de cérémonie. La panique du temps qui passait dictait la vitesse de ses pas, de sa course effrénée à travers les morceaux de tôles qui faisaient office de murs. Le jeune homme était le moins agile des deux dans cet environnement inconnu et encombré. Par deux fois, il faillit trébucher et emmener la rouquine dans sa chute, mais cette dernière le tirait avec tellement de force qu’il fut presque carrément retenu à chaque fois. Cette petite boule d’apparente fragilité se révélait être d’une force surhumaine et cela confirmait, parmi tous les autres indices, que cette demoiselle était une vampire.

Puis, Robin comprit soudainement, entre deux cris des voisins, tout ce que cela pouvait sous-entendre et commença à prendre peur pour lui-même. Tant de cachotteries pour le conduire au fin fond d’un labyrinthe inconnu, sans mot dire sur sa véritable nature… Si Krimhilde était réellement une vampire, cela signifiait qu’elle se nourrissait de sang, principalement de sang humain, à n’en point douter… Jusqu’à preuve du contraire, il appartenait bien à cette race.

Le violoniste tenait fort son instrument en avalant difficilement sa salive. Il tenta de dégager son bras de la poigne de fer de l’aveugle, mais rien à faire. Finalement, ils arrivèrent à l’endroit qui devait être la demeure de Krimhilde. C’est seulement à l’intérieur que cette dernière libéra enfin sa main. Robin était tout près de l’entrée et aurait dû s’enfuir de suite, au vu de ses craintes, mais il fut happé par le dénuement des lieux. Des vêtements – pour ne pas dire loques –, un lit usé et un vieux poisson étaient les seules possessions de cette fille. Tout était recouvert d’un épais tapis de poussière, de terre… ou de selles? Il n’aurait pu dire.

Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas s’attarder davantage, car la vampire sembla reprendre conscience qu’elle lui avait lâché la main et la reprit de plus belle. Mais le jeune homme n’eut pas le temps de faire un mouvement de recul que déjà elle lui criait être inoffensive avant de rougir légèrement.

Le sang affluait dans les tempes de Robin, qui était essoufflé d’une pareille course. En voyant qu’elle ne voulait pas lui sauter dessus, il prit le temps de reprendre son souffle avant de parler. Le petit lien qui s’était créé entre eux se dissipait peu à peu à mesure que le hacker devenait suspicieux. Autant sa curiosité lui dictait de rester et approfondir le sujet, autant le doute le forçait à rester sur ses gardes.

«Et de quoi te nourris-tu, alors?», répliqua-t-il, toujours sur la défensive.

Les yeux inquisiteurs du thanatologue détaillaient cette demoiselle encore davantage qu’auparavant, malgré la pénombre des lieux. Chaque expression faciale était passée au peigne fin dans sa tête pour arriver à cerner si elle disait la vérité. Pour l’instant, tout semblait en norme. Mais ne savait-on jamais?

A ce moment précis, Krimhilde maudissait du plus profond de son être ce qu'elle était et aurait donné n'importe quoi pour avoir été toujours humaine, mais le Destin ne pouvait lui faire ce cadeau. D'un autre côté, si elle été restée "normale", elle n'aurait pas pu survivre aux conditions de vie infernales qu'imposait le bidonville.
Pendant le court laps de temps où elle avait songé au sens de sa vie, la jeune fille s'était mise à serrer fort les doigts du violoniste, et quand elle s'en aperçut, elle relâcha l'étreinte qu'elle exerçait sur lui en se maudissant elle-même cette fois-ci. Sa confusion était telle qu'il lui fallut quelques secondes avant de retrouver la réponse que Robin attendait.

"Cet endroit fourmille de rats et de petits animaux en tout genre, c'est mon seul moyen de survivre.."
Elle sentait que ce ne serait pas la seule réponse qu'elle aurait à fournir, et cela accentua sa confusion. Une violente migraine la gagna alors soudainement à cause de cet interrogatoire aux enjeux immenses à ses yeux. La vampire fut alors obligée de lâcher la main du garçon pour venir saisir sa tête alors qu'elle s'était assise par terre.
Tout de même consciente et au bourd des larmes, elle rajouta quelques mots d'une voix faible et tremblotante pour essayer de ne pas briser irrévocablement le lien tout récent qui les réunissait.

"J'aurais voulu t'en parler, mais j'avais peur de ta réaction.."

Même si elle ne pouvait pas le voir, elle sentait peser sur elle un regard lourd et vide de compassion. La rouquine avait le cœur fendu.

[HJ: Désolée du délai! Je me remets au RP peu à peu.]

Robin regarda Krimhilde un bon moment pendant qu’elle avait son malaise. Il réfléchissait à ce qu’elle venait de lui répondre. Des rats? Était-ce vraiment suffisant pour suffire à ses besoins alimentaires… Le jeune homme lui jeta un coup d’œil. Vraisemblablement pas. Ce n’était pas pour rien qu’elle était si frêle : elle était sous-alimentée, ce qui, en soi, confirmait son innocence.

Le thanatologue se détendit alors et voulut serrer dans ses bras ce petit être qui semblait maudire Ténébris entière dans ses sanglots. En effet, s’il avait été sans compassion aucune une minute plus tôt, il comprenait d’un coup à quel point une vie ainsi reclue pouvait être pesante. Lui-même, par ses activités illicites, devait se tenir tranquille, mais elle… elle n’avait même pas la possibilité de se montrer en plein jour.

Il s’agenouilla alors devant elle, lui prit tranquillement les mains et les lui serra, beaucoup moins fort qu’elle n’avait serré les siennes auparavant. Son cœur battait fort, mais à un rythme régulier et calme. Sentant que les paroles étaient inutiles pour traduire ses émotions, il resta silencieux et tenta de calmer la demoiselle avec sa respiration lente et profonde. *Allez, Krim… Calme-toi. Ça ira.*

[HJ: Je suis tellement désolée du retard.. Je maudis mon emploi du temps ]

L'univers semblait devenir minuscule pour la jeune vampire. Trop de choses se bousculaient dans sa tête, et un bourdonnement incessant de stimuli extérieurs venait marteler son esprit avec déchaînement. Il y avait longtemps qu'une crise comme celle-ci ne l'avait pas touchée, et elle s'en serait passée sans soucis aucuns. Elle resta alors dans cet état de détresse mentale pendant une période qui lui parut une éternité, en espérant simplement que cela passe dans un délai le plus réduis possible, jusqu'à ce qu'il ne saisisse ses mains.

Le jeune homme venait de lancer une bouée à la rouquine; bouée qu'elle s'empressa de saisir fermement pour échapper à son océan de tourments. Puis, elle perçut les battements de son cœur, comme une sorte de chanson lointaine. Krimhilde se concentra alors sur ce battement régulier qui la sortait peu à peu de son abîme au fur et à mesure qu'elle l'écoutait. La respiration lente du garçon soufflait lentement sa tempête intérieure et elle se réjouissais de ce retour au calme. Alors, petit à petit, sa respiration vint se synchroniser à celle de Robin. Sa pensée était monopolisée par la pulsation chaleureuse et apaisante que lui offrait son cœur.

Après une longue période où le silence régnait dans l'oasis de sérénité que constituait l'abris de fortune de la noctambule, cette-dernière pivota sur le sol poussiéreux et vint s'entourer du bras du violoniste et s'endormir. En se laissant aller dans les bras de Morphée, elle bascula légèrement contre lui, laissant apparaître un visage dénué de toute crispation, une ébauche de sourire au coin des lèvres.

[HJ : T’inquiète, on a été plusieurs à délaisser le forum ces deux derniers mois… Mais nous revoici!  En passant, je me suis permis une ellipse. ^^]

Pendant que Krimhilde se calmait, le jeune homme ne put s’empêcher de glisser ses doigts dans sa longue chevelure. Ses pensées partaient en vrille, mais n’affectaient pas son pouls, car il était calme. Oui, la rencontre avec sûrement l’une des indésirables de le Ville était pour lui un moment marquant et excitant au possible, mais cette fameuse représentante était trop douce, trop délicate pour que le hacker la bombarde de questions. Il lui faudrait patienter encore longtemps.

Finalement, la jeune vampire finit par se calmer totalement et, même, par s’endormir, enroulée dans un de ses bras. L’homme aux cheveux grisonnant ne sut que faire de prime abord, hésitant entre partir maintenant et s’endormir ici. Son bras prisonnier réduisait considérablement ses mouvements. En même temps, il n’avait jamais dormi avec une fille auparavant. Oui, bon, cela avait pu arriver au Squat, mais ces nuits-là, ils étaient toujours nombreux, jamais seulement deux.

Toutes ses tergiversations mentales eurent tôt fait de le fatiguer et c’est alors que les premiers rayons du soleil pointaient à l’horizon, que Robin finit par s’endormir à son tour, le bras autour de cette frêle mais grande demoiselle, dans l’espoir inconscient de réchauffer ce corps glacé.

***
Sans sa montre, il n’aurait su dire l’heure qu’il était. La lumière du jour passait à peine à travers les murs, et seulement dans une luminosité pâlotte. Clignant des yeux plusieurs fois, tentant de remettre ses souvenirs en place, le hacker constata qu’il était déjà passé 15h.

Cela faisait trop longtemps que la jeune aveugle ne s'était pas endormie aussi sereinement, mais cette fois-ci, c'était parfait. Certes, s'endormir à même le sol poussiéreux d'un abri miteux dans les bras d'un garçon qu'elle ne connaissait que depuis quelques heures n'était pas la définition universelle de la situation parfaite, mais c'était celle qu'elle s'était forgée pendant les instants passés aux côtés du jeune homme.

Krimhilde se réveilla quelques secondes après Robin; ses quelques mouvements avaient suffit à rompre son sommeil. La vie dans un bidonville, avec un handicap de surcroît, obligeait à se maintenir dans un état constant d'attention, même pendant le sommeil. Ce sont en quelque sorte les réflexes les plus primitifs d'un "être humain" qui ressortent dans un tel lieu.

Alors qu'elle reprenait peu à peu ses esprits, la jeune vampire lâcha un ou deux grognements aigus en serrant un peu plus fort le bras du hacker pendant quelques instants. Toujours semi-consciente, elle articula quelques mots avec lassitude:

"Il est tôt.. Tu veux déjà t'en aller..?"

On pouvait sentir malgré la faible intensité de sa voix une pointe de déception, à cause de l’appréhension de la réponse de son jeune ami. Elle s'attendait déjà à ce qu'il la laisse; pour la noctambule, l'espoir était mauvais. Pour elle, il n'apporte que des désillusions, et la chute est toujours plus dur si l'on avait déjà commencé à monter.

À peine conscient encore de ce qui l’entourait, reprenant peu à peu ses esprits, Robin sentit la froideur glaciale des bras de la vampire comme des couteaux sur sa peau. Accompagné aux grognements aigus qu’elle émettait et à l’odeur nauséabonde qui flottait dans l’air du Bidon Ville, cela finit de réveiller le jeune hacker dans un saut et un cri de douleur intuitivement lancé. Ainsi, il se recula violemment de l’étreinte.

« Il est tôt… Tu veux déjà t'en aller..? »

Clignant des yeux encore, regardant sa montre de nouveau pour être sûr de ne pas avoir rêvé, Robin ne fut pas certain, de prime abord, du sens de « tôt » dans la tête de Krimhilde. Sans penser qu’elle, vampire, devait habituellement dormir à pareille heure, il déduit que cette distorsion temporelle devait être due à son aveuglement. Mais, ne voulant pas la brusquer, il ne dit rien. Par contre, il sentit bel et bien la déception dans sa voix et cela le mit mal à l’aise… Comment fallait-il agir avec une aveugle, vampire de surcroît, qui vivait dans la pauvreté la plus totale? Déjà qu’il avait de la misère à « bien » agir avec ses contemporains…

« Je… Hum, en fait… Je… », bafoua-t-il dans une tentative inutile de formuler une phrase cohérente. Lui-même n’était pas sûr de ce qu’il souhaitait… Il sentait quand même l’obligation de partir, non pas pour fuir, mais… il ne se trouvait aucune raison vraiment valable. Hormis son désir de solitude. Il n’allait pas rester dans ce lieu miteux jusqu’à la tombée du jour, quand même.

À vrai dire, la nuit qu’il venait de passer l’avait secoué plus que de raison. Un instant, une pensée furtive : en si peu de temps, beaucoup trop de choses s’étaient passées et, bien qu’il n’ait bu aucune goutte d’alcool, il se sentait comme dans un lendemain de veille. Un peu étourdi par sa rencontre avec une indésirable de la Ville et le fait qu’il ait dormi avec elle, en cuillère qui plus est, Robin restait coi. Il regardait sa nouvelle connaissance avec de grands yeux, toujours en questionnement existentiel. Finalement, il opta pour un compromis, qui ne le compromettait pas trop : « Je peux bien rester encore un peu, mais… il va aussi falloir que je parte bientôt. » Sa voix traduisait une certaine froideur, mais un léger trémolo témoignait de son incertitude. Il ne souhaitait pas réellement laisser cette frêle créature à l’abandon… « Il est déjà 15h, tu sais… », ajouta-t-il, pour être certain que son interlocutrice ait la même notion du temps que lui.

Krimhilde aurait pu rester pendant un temps infini dans la position dans laquelle elle avait dormi, réchauffée par la chaleur humaine qui émanait du jeune homme, bercée par les battements réguliers du son cœur. Or, le destin en avait décidé autrement; quand il s'écarta brusquement d'elle, la jeune vampire réprima le sanglot qui spontanément avait tenté de perler au coin de ses yeux clairs. Elle se contenta seulement de pivoter en direction de Robin, puis de rabattre ses jambes contre elle, sous son pull troué et beaucoup trop ample pour son corps frêle.

La jeune fille était courbée et recroquevillée sur elle-même. Elle n'avait que la peau sur les os. Ainsi, on distinguait aux travers des trous de son vêtements sa colonne vertébrale et ses omoplates saillantes, comme si une paire d'ailes piteuses et décharnées demandait à perforer sa peau et la blottir. C'est alors la tête baissée qu'elle lui répondit.

"15h.. D'habitude je dors à cette heure-ci, tu sais."

Krimhilde bailla. En effet, sa fatigue était quasi permanente, comme le prouvaient les cernes violettes qui soulignaient son regard, quand on l'apercevait. Cependant, elle rajouta quelques mots.

"Mais je suis égoïste, tu as sûrement d'autres choses à faire. Je suis désolée de te retenir comme ça."

Cette fois-ci, le ton était clair, et une lourde peine s'enfouissait sous ces paroles qu'elle ne pensaient pas du tout. En réalité, elle voulait qu'il reste avec elle, à tout prix. Puis soudain, comme dans une sorte de crise de paranoïa, elle eut le sentiment qu'elle le dégoutait; le cœur de la noctambule se serra alors d'un seul coup et une douloureuse crispation se fit voir pendant un court instant.

Robin restait de plus en plus silencieux, de moins en moins certain de l’attitude à adopter. La vulnérabilité que dégageait la jeune vampire l’incitait à rester auprès d’elle. En même temps, l’attachement rapide qu’elle lui avait porté l’étourdissait et lui donnait envie de fuir. Toute forme de dépendance lui faisait peur. Autant un élan de solidarité l’avait porté à la prendre dans ses bras la nuit dernière, autant cette crainte indéfinissable d’une pitié renouvelée l’en retenait à ce moment précis.

« Ah, mais, oui, bien sûr! », s’exclama-t-il quand elle lui dit dormir à pareille heure habituellement. Cela ne lui avait même pas traversé l’esprit et il se traita intérieurement d’idiot. En même temps, il se dit qu’il vaudrait, alors, mieux la laisser dormir… Mais comment pourrait-il dire cela sans faire transparaître ses émotions? Il ne voulait pas la blesser non plus… surtout après ce qu’elle ajouta. Aïe.

Cet être si fragile lui donnait l’impression d’une poupée de porcelaine qui pouvait se briser à tout moment, à la moindre parole ou au moindre mouvement maladroit. Sa tristesse se sentait à des mètres à la ronde et Robin était loin d’être la personne la mieux placée pour lui venir en aide… Du moins, ne s’en sentait-il pas pleinement capable. Et, plus le temps passait, plus il sentait l’obligation de parler peser sur lui, et moins il ne savait quoi dire, et plus il sentait que son silence devenait pesant à son tour. D’ailleurs, la crispation du visage de Krimhilde ne lui échappa pas et le laissa encore plus mal. En signe de nervosité, il se rongeait la peau des doigts, lesquels étaient crispés.

Finalement, il ouvrit la bouche et laissa échapper un « Mais non… Mais non, tu n’es pas égoïste, voyons., puis il se tut à nouveau, cherchant encore et toujours les bons mots à dire. Il soupira. Tu dois être bien seule… J’comprends que tu veuilles avoir de la compagnie. Nouveau silence. « Mais, voilà… Je ne peux pas rester avec toi toute la journée… Puis, tu dois dormir. Tu en as besoin. »

(HJ: j'ai tellement honte du temps que j'ai mis pour répondre.. J'avais tellement de choses à faire, comme par exemple réviser comme une dingue pour le bac que je pouvais juste pas le faire ^^'' quoi qu'il en soit voilà la réponse, et vous m'avez beaucoup manqués pendant ce temps, je serais ravie de discuter un peu en mp, tout ça tout ça, et ça commence à devenir infiniment trop long ^^'')

L'atmosphère qui régnait dans la petite pièce se chargeait de gêne au fur et à mesure que la discussion s'éternisait, et il était évident que chacun d'eux le sentait comme on peut sentir la pression de la chaleur pendant un été trop ardent. Les silences qui séparaient chaque phrase timide pesaient également comme un poids omniprésent et pourtant impalpable. Pourtant, la jeune fille répondit à son tour, sans essayer d'altérer cette atmosphère.

''Je dors très peu, ça doit se voir sur mon visage. ''

Elle marqua un silence avant de reprendre.

'' Si tu veux t'en aller je comprendrais, seulement.. ''

Elle n'osa pas terminer sa phrase, appréhendant la réaction de Robin. Krimhilde avait laissé sa voix déjà peu sonore se confondre dans le raffut ambiant, de manière à ce que le garçon ne puisse pas comprendre ses derniers mots.
Toujours dans la même position, elle puisa alors tout au fond d'elle même le courage de lui demander.

'' Seulement j'aimerais beaucoup qu'on.. Qu'on se revoie, si tu en as envie. ''

Pendant qu'elle parlait, la vampire releva la tête légèrement et laissa entrevoir ses yeux d'une clarté extrême derrière les mèches de sa crinière de feu qui recouvrait une partie de son visage. Même si elle ne voyait plus, quelques réflexes subsistaient. Ses yeux bougeaient toujours, comme ceux de n'importe qui ; ils portaient aussi ses émotions au cœur de ceux qui plongeraient leur regard dans le sien.
Puis, Krimhilde frissonna malgré la douceur de la température. Suite à cela, elle fit tourner sa tête, lentement, dans les deux sens. Le bruit du craquement de ses os presque visibles résona brièvement contre les parois de tôle de son abris. D'autre part, on pouvait observer sur la peau de porcelaine de son cou une cicatrice ressortir. Son origine ne faisait aucun doute, et la profondeur des traces avait de quoi faire frémir ; il était presque impossible de voir de telles marques sans imaginer dans quelles circonstances elles sont apparues et sans se mettre à la place de celle qui les portait.
Après cela, Krimhilde pris une grande inspiration et expira en silence avant d'aller se coller dans le coin le plus proche d'elle et de s'étirer un peu. Elle leva ses bras au dessus de sa tête, joignit ses mains et quelques instants après, de nouveaux craquements, plus bruyants que les précédents, résonnèrent alors que ses côtes semblaient dépasser par les trous de son pull.

[Bouyaaaaahhh!! Tu es toute pardonnée! Je dis quand même pas non à la discussion MP. ^^]

Robin se sentait oppressé, qu’importe ce qu’il dirait ou ferait, ce ne pouvait être la bonne chose : soit il se compromettrait, soit il peinerait la jeune (?) vampire. Il ne pouvait et, non… ne voulait pas vraiment, au fond, rester non plus. Cette sensation de gêne ne lui donnait que l’envie de s’enfuir à toutes jambes pour ne plus revenir. Comment une soirée si simple et magique avait pu laisser place à une matinée pareille?

Finalement, Krimhilde prit la parole, mais cela ne changea rien à l’ambiance, surtout qu’elle laissa sa voix se faire de plus en plus petite, de sorte que le jeune homme n’y comprit rien, jusqu’à ce qu’elle reprenne sa phrase. Quand la rouquine releva son visage, Robin sentit ses yeux lui transpercer l’âme pour déceler tout ce qu’il pensait, mais aussi pour lui crier de rester. Il voulait de plus en plus partir… mais qu’est-ce qui le retenait ainsi? Bien qu’il ne voulait se l’avouer pleinement, il ressentait, lui aussi, un fort attachement pour la flutiste. Le sens du devoir et de justice en lui s’était réveillé à la rencontre de cet être fragile et vulnérable, que la vie avait délaissé, voire abandonner… car il s’agissait bien d’une morte-vivante, non?

Un frisson lui parcourut l’échine quand il songea qu’elle devrait endurer son état pour l’éternité, un autre quand elle finit craquer, et un autre encore quand sa morsure fut visible. Secouant vivement la tête, il détourna le regard en déglutissant difficilement. Non, il ne pouvait l’abandonner à son tour.

« Je… », commença-t-il avant de se faire interrompre par de nouveaux craquements d’os, qui lui glacèrent le sang. Il prit quelques secondes pour se ressaisir, puis reprit : « Je pourrai revenir, bien sûr. » Oui, il reviendrait, à n’en point douter.

[HJ: Ça sent la fin de ce RP! Je vais commencer le prochain, OK?]